Page:Sand - Pierre qui roule.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bout à l’étranger. En France, il se mêle drôlatiquement à la vanité démocratique, et, si tu étais assez aventurier pour mettre un de devant ton nom, le peuple des petites villes serait fier d’avoir pour histrion un grand seigneur. Ne te défends donc pas de l’être, et ne prends pas tout cela au sérieux ; nous sommes en voyage pour nous amuser. Sois certain que cela n’ôte rien au talent que tu dois avoir, et que tu auras, c’est moi qui t’en réponds.

Il tâchait de m’en donner ; il m’en donnait quand je lui récitais mes rôles. Nous avons déclamé Corneille en passant les Alpes sur des ânes. Les glaciers de la Suisse, les grèves de la Méditerranée, les ruines, les grottes, toutes les solitudes pittoresques que nous avons explorées ensemble ont retenti du son de nos voix montées au diapason de la passion dramatique. Je me sentais puissant, je me croyais inspiré. Devant la rampe, tout disparaissait. J’étais trop consciencieux, je me jugeais trop moi-même. J’étais mon propre critique et mon pire obstacle.

Voilà pour mon talent ; quant à mon amour, il avait pris un nouvel aspect. L’égalité d’âme, la