Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/115

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ment, pas le moindre blâme pour leurs erreurs morales ou littéraires. Il en résulte que tous se croient de grands hommes après avoir fait trois strophes ; qu’ils rêvent une vie brillante ; qu’ils recherchent la société des gens de lettres ; qu’ils négligent leur travail, se croyant à la veille de faire fortune, ne sachant pas que la poésie ne nourrit personne, à moins qu’on ait la frugalité et la célébrité de Béranger, et que si l’on gagne quelques sommes d’argent à publier des livres, c’est à la condition de négliger ses affaires et de mener une certaine vie qui absorbe bien au delà de ce qu’on recueille. Voilà donc le mal que vous leur faites, et je ne trouve pas qu’on ait tort de vous le reprocher. Vous développez en eux un orgueil puéril ; vous leur ôtez leur noble caractère d’austérité ; vous en faites, en un mot, des gens comme nous ; et s’il arrive par hasard et par exception, qu’ils y gagnent quelque bien-être, je trouve qu’ils y laissent quelque chose de plus précieux, la grandeur et l’originalité de leur être.

M. Z. — Mon ami, toutes vos objections sont fondées en principe, bien que je nie un peu qu’elles soient méritées en fait. Je crois qu’en causant ici, pressé de formuler de très-bonnes idées qui vous sont venues, vous avez fait comme on fait dans la plupart des discussions. Vous avez supposé à votre adversaire tous les torts que vous vous sentiez en veine de combattre, et que vous aviez en vous la puissance de condamner. Pressentant les inconvénients et le danger qu’il y a d’inoculer la littérature au peuple, vous n’avez pas trop voulu savoir si ces malheureux symptômes s’étaient manifestés peu ou beaucoup, s’ils dataient d’hier ou de demain, si les anecdotes que l’on