Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/191

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senti les beautés et les horreurs en grand artiste, en vrai poëte. Il décrit les glaciers de la Suisse, les dolmens de la Bretagne, les rivages de la Grèce, les forêts vierges du Nouveau-Monde, les phénomènes des mers polaires, et le tout de main de maître. Dévoré du besoin de tout voir, il n’a rien vu que dans ses rêves ; son plus long voyage a été de Toulon à Marseille. Et c’est heureux pour lui peut-être, car la poésie descriptive, dans laquelle il brille, eût peut-être absorbé trop de ses facultés. Les enchantements de la vision, l’enivrement continuel de scènes variées de la nature, l’eussent détourné de la méditation, de l’aspiration religieuse, des joies et des douleurs de la famille, des profondes leçons de la misère et du travail, de la piété fraternelle, des lectures sérieuses qu’il commence à faire et à comprendre, de la vie de sentiment et de réflexion, en un mot : nous eussions eu seulement un poëte pittoresque, et nous avons un poëte complet. Il est bon que la vie se révèle au poëte sous tous ses aspects enchanteurs ou cruels ; il est nécessaire que le poëte soit homme avant tout. —

En restant fidèle au genre descriptif, qui est une des faces les plus riches et les plus vigoureuses de son talent, Poncy a su faire planer sur tous ses tableaux une idée forte et une émotion profonde. Dans son premier recueil, qu’il appelle déjà les essais de sa jeunesse, on ne sentait pas toujours assez, sous ce miroir ardent et limpide de sa description, la vie intime et mâle du poëte. La pensée a grandi chez lui depuis ; et le talent, en s’épurant, en devenant un peu plus sobre, n’a rien perdu, n’a pas encore assez perdu peut-être de sa fougue et de sa prodigalité. Ses tableaux sont parfois encore un peu trop éblouissants ; et dans