Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/193

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maître admirable et bizarre. Dans une autre pièce sur la fumée du tabac, élégante fantaisie aussi légère que le sujet, les deux derniers vers vous saisissent et vous forcent à ranger ce morceau parmi les meilleurs, au moment où vous alliez l’oublier pour en chercher un plus sérieux et plus ferme. Certaines pièces sont presque des chefs-d’œuvre, nous ne craignons pas de l’affirmer : le petit poëme intitulé l’Ange et le Poëte, les pièces intitulées un Soir de fête, le Rossignol, Aux Maçons, et plusieurs autres encore. Je ne crois pas, au reste, que, dans tout ce recueil, il y en ait une seule insignifiante, une seule où l’on ne trouve des beautés de premier ordre.

Maintenant, quel est le sens moral, quelle est l’importance philosophique de cette vie de poëte et d’ouvrier, de cette âme d’artiste et de citoyen ? Quelques amis austères de cette florissante jeunesse se sont demandé s’il convenait qu’un poëte prolétaire rendît un culte si passionné à la beauté de la forme, et touchât sans façon à tant de sujets étrangers à la vie obscure et recueillie d’un saint et d’un martyr : car c’est avec cette grandeur que ces hommes sérieux conçoivent et définissent la mission du poëte-ouvrier. Ils le veulent martyr dévoué et obstiné du travail et de la misère tant que leurs frères souffriront des mêmes maux ; ils le veulent rigide dans ses mœurs et religieux dans toutes ses pensées comme un apôtre de l’Évangile primitif. La loi est dure, mais qu’elle est belle ! Combien elle signale de force et d’enthousiasme dans ces esprits profonds et rudes ! Prophètes de la plèbe, ne vous plaignez pas du sort farouche que vos frères veulent vous imposer. Du haut de la société absurde qui vous condamne à d’éternels travaux et à d’éter-