Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/213

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mission. Mais il y aurait bien d’autres points de contact entre cette illustre assemblée et ce qu’on appelle sans doute là la populace, si nous ne vivions pas dans un temps de scepticisme et d’indifférence philosophique, où le littérateur croit tout au plus à la littérature, tandis que le peuple ne peut croire, lui, qu’à la misère et au désespoir.

D’où vient donc cet abîme qui sépare l’ignorance de l’art, la gloire du néant intellectuel ? Pourquoi ce sanctuaire dont le peuple ignore jusqu’à l’existence, lui, qui ne connaît les royautés que par le mal qu’elles lui font, et qui ne connaît pas l’Académie vu qu’elle ne lui fait pas de bien ? Demandez au cocher de louage, voire à votre cocher si vous en avez un à vous, ce que c’est que cet édifice où il vous mène. C’est, vous dira-t-il, un endroit où il y a des livres. Il ne sait pas seulement s’il y a là des hommes.

Pourtant, nommez-lui quelques-uns de ces hommes, il les connaît ; car ces hommes ont écrit des pièces qu’il a vu jouer, des livres qu’il a peut-être lus, des vers dont le refrain a frappé son oreille. Ce ne sont pas les travaux individuels des lettrés qui sont étrangers et indifférents au peuple ; c’est le sens, le but et l’effet de cette constitution de la république des lettres, qui sont pour lui des énigmes, et que vous ne pourrez jamais lui expliquer sans qu’il vous réponde, dans son rude bon sens : « À quoi cela nous sert-il ? »

Et, en effet, à quoi cela est-il bon ? Est-ce une récompense pour le talent ? Toute récompense sociale devrait être utile à qui la donne autant qu’à celui qui la reçoit. Autrement, c’est une aumône, un hospice ouvert par la charité publique.