Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/239

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blime d’attitude, de geste et d’accent dans La Marseillaise, telle était la composition du spectacle. Bien des gens s’attendaient à voir la salle remplie de Messieurs. « Les hommes du peuple vendraient tous leurs billets, disait-on. » D’autres s’attendaient à voir reparaître les pommes et les cervelas des anciennes représentations gratis. On se promettait de se préserver des projectiles et de s’amuser des lazzis du peuple. On s’est beaucoup trompé, Dieu merci, et nous allons dire la vérité.

Quelques hommes du peuple ont, en effet, vendu leurs billets. Ils en avaient le droit : Qui pourrait s’indigner sérieusement de voir un pauvre père de famille ne pas résister à l’offre de vingt ou trente francs ? Mais il faut qu’on sache bien que, sur neuf cents spectateurs, il n’y en a pas cinquante qui aient cédé à cette tentation. La masse repoussait avec énergie les brocanteurs, et ces réflexions circulaient textuellement dans la foule : « C’est mal de venir tenter les pauvres gens ; plaignons ceux qui ne peuvent résister ; mais, quant à nous, nous ne vendrions pas nos places pour cent mille francs. Puisque la République nous invite à une fête, oublions nos estomacs et secondons les efforts qu’on fait pour satisfaire nos esprits ! » — Nous voilà donc plus grands que les anciens. Il n’est plus question d’avoir du pain et des cirques ; on se passe de pain pour aller au spectacle.

Quant aux rumeurs et aux désordres attendus par certaines gens, il y a eu désappointement complet. Jamais le beau public des Italiens ou de l’Opéra n’a écouté, goûté, senti, applaudi à propos comme les ouvriers, et les ouvriers de Paris savent le faire. Jamais nos grands artistes n’ont trouvé un public plus sympathique et plus intelligent. Il n’y a pas eu une pelure