Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/262

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c’était un paysan balourd, pauvre valet d’un pauvre maître, obligé, pour se vêtir, de quêter les haillons du voisinage. Dominique, qui succéda à Trévelin dans ce rôle, transforma complètement ce personnage. Arlequin devint spirituel, fourbe, rusé, grand diseur de bons mots ; et nous ne l’imaginons pas autrement aujourd’hui. — De cette transformation de l’Arlequin résulta une lacune dans les caractères : le personnage de niais n’existait plus. C’est alors qu’un certain Sureton, gagiste de la comédie, s’avisa d’arranger le costume du Polichinelle napolitain et d’en faire le Pierrot moderne, résurrection d’Arlequins ignorants. Mais ce type, né en France, créé par un Français, a un caractère national et universel en même temps. a Pierrot est un villageois railleur à la manière du paysan, faisant volontiers la bête, mais assez subtil dans ses idées, en même temps qu’il est candide dans ses instincts et dans ses sentiments ; Pierrot, le cousin germain des Gilles, est le contraste récréatif, avec le jargon des Précieuses ridicules et des soubrettes madrées ; ce n’est pas un paillasse qui fait la cabriole, c’est un grand raisonneur qui procède par questions et embarrasse l’esprit des autres sans être embarrassé dans le sien propre. Il est logique dans la sphère étroite de ses pensées, et il pousse cette logique jusqu’à l’absurde, jusqu’à l’impossible. Les objets extérieurs l’étonnent ou le fatiguent. Mais il est artiste à sa manière, et raisonne du connu à l’inconnu avec cette liberté d’esprit qui est le fait des enfants et des âmes rustiques. »

Arlequin, et Polichinelle lui-même, doivent céder l’honneur de la primogéniture à Scapin, modèle primitif de tous les valets de Molière. Celui-ci est l’image