Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/416

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générale des jeunes. Hélas non ! La vieillesse n’a pas toujours ce bénéfice de l’indifférence ou de l’impuissance du cœur ! En vieillissant ceux qui ont aimé beaucoup deviennent plus sensibles à la douleur. Tant de coups frappés par la mort sur leur âme fatiguée rendent leur sensibilité plus irritable, leur plaie plus saignante, et ce n’est qu’après des années de silence qu’ils trouvent le courage de parler de ceux qu’ils ont vus partir. Malgré soi on mettrait trop de personnalité dans les regrets, et le public n’a que faire de nos larmes ; il a les siennes, et son fardeau n’est pas plus léger que le nôtre !

Bocage était le représentant en chair et en os de la littérature exubérante de son temps. Sa personne, sa ligure avaient les beautés et les étrangetés de l’école. Il avait l’aspect souffrant, gauche ou excessif ; mais son visage avait la beauté intellectuelle de la forte inspiration, et son regard brillait du feu sacré.

Son intelligence répondait à son aspect. Il parlait trop, il s’épuisait en détails, il composait mal ses récits cl ses discussions, il s’y perdait ; mais l’éclair y revenait à chaque instant, et au moment où l’on se croyait fatigué de l’entendre, on se sentait repris par une clarté éblouissante de l’esprit ou de la passion.

Ses lettres complétaient cet ensemble de contrastes. Il écrivait beaucoup et longuement, insistant sur des redites et disséminant ses observations fouillées avec excès ; mais quand ce trop plein d’inquiétude et d’activité fiévreuse était épuisé, la lumière se faisait, et on voyait apparaître l’artiste de premier ordre, net, logique, et merveilleusement simple au sortir d’une analyse vague et compliquée.

Je ne sais si d’autres que moi ont pu l’apprécier au-