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Page:Sand - Simon - La Marquise - M Rousset - Mouny-Robin 1877.djvu/285

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lui disait sa femme à son lit de mort, que Georgeon finirait par te tourer !

— Il n’y a pas de Georgeon qui tienne ! répondit le moribond. Je ne saurai jamais comment cela m’est arrivé, pas plus, ajouta-t-il, que je n’ai su le reste !

Le fait est que l’accident tragique du pauvre Mouny n’a jamais été bien expliqué. Il faut être non pas maladroit, mais bien déterminé au suicide pour passer ainsi par la pelle de nos moulins. Il vous suffirait de voir celui de Mouny, pour vous convaincre qu’il faut s’y lancer ou y être précipité avec une grande force, la tête en avant, pour ne pas pouvoir se retenir aux ais du pont, quelle que soit la force de l’eau. Tout s’expliquerait si Mouny eût été ivre ; mais il ne s’enivra pas, je crois, une seule fois dans sa vie. Il avait horreur du bruit et de l’odeur des tavernes, et, quand il s’y asseyait un instant, il en sortait en disant : « La tête me sonne ! » Je n’ai pas vu un autre paysan aussi délicatement organisé qu’il l’était à certains égards.

— N’avait-il pas un ennemi , un héritier, un rival ? me dit mon auditeur complaisant.

— Hélas ! il en avait plus d’un, répondis-je. Jeanne Mouny était jolie comme un ange, et d’une délicatesse d’organisation aussi exceptionnelle que celle de son mari. Elle était petite , fluette, et blanche comme les narcisses de son pré. Vivant toujours à l’ombre des grands arbres qui croissent dans cette région fraîche et touffue, elle avait préservé son cou et ses bras des morsures du soleil, et, quand elle était vêtue le dimanche d’une robe blanche et d’un tablier à fleurs, elle ressemblait plus à une villageoise d’opéra qu’à une meunière du Berry. Pour rester dans le vrai, ce n’était ni l’une ni l’autre ; mais c’était mieux, c’était quelque chose de fin, de propret et de charmant,