Page:Sand - Theatre complet 3.djvu/322

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jours que l’homme tombe sous l’empire d’une femme, et la femme qu’on n’ose pas épouser vous rend coupable ou malheureux. Je me marierai, moi, je me marierai le plus tôt possible, si je rencontre une brave fille qui veuille d’un pauvre marin… L’exemple de mon père me fait réfléchir… Il m’épouvante. Je sens en moi un cœur tendre, faible peut-être, comme était le sien, et je ne veux pas attendre, pour vivre à deux, l’âge où l’on aime encore, sans pouvoir être aimé sincèrement.

STÉPHENS, toujours très-calme.

Voilà de sages idées, et que je partagerais si vous y faisiez davantage la part de l’imprévu. Le bonheur prémédité n’est pas mon fait. Je suis plus impétueux que cela ; je n’ai jamais voulu faire de projets, me connaissant esclave de mes passions, qui sont… indomptables… oui, indomptables ! Cela vous étonne ? C’est comme je vous le dis. Je prends feu comme le soufre et la poudre ; je suis… volcanique ! Mes penchants sont violents, très-violents, et, quand ma volonté s’empare d’un objet, elle ne connaît ni retard ni obstacle. La fatalité embrase à chaque instant ma vie, jusqu’à ce qu’elle l’embrase une fois pour toutes.

ADRIEN.

Vous me surprenez beaucoup. Il est vrai qu’en vous aimant de tout mon cœur, je ne vous connais pas entièrement. Notre mutuelle sympathie ne date que de deux mois, et, durant cette navigation, comme il n’y avait pas de femmes à bord, je ne vous ai pas vu aux prises avec je sentiment. Eh bien, qu’est-ce ? Un nuage a passé sur votre figure.

STÉPHENS.

C’est que j’éprouve… des tiraillements d’estomac… Adrien, croyez-vous que nous ayons déjeune ce matin ?

Daniel entre par la porte vitrée.
ADRIEN.

Je suis sûr du contraire ; nous n’avons pas eu le temps, et il se fait tard. (Appelant Daniel.) Je vous demande pardon d’a-