Page:Sand - Tour de Percemont.djvu/224

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ne se fera pas une tache. Elle est là dans son élément, l’intérieur, la vie de campagne et de famille.

— Il faut l’y laisser, répondis-je avec une intention malicieuse. Il n’y a pas là dedans assez de poésie pour un jeune homme de ton époque.

— Pardon, mon père, je trouve qu’il y en a, moi ! La poésie est partout pour qui sait la voir. Il y en avait jadis à Vignolette, quand, au beau milieu de sa grande cuisine noire, où reluisaient les gros ventres des vases de cuivre, je regardais Miette pétrissant dans ses jolis doigts les galettes de notre déjeuner. C’était un tableau de Rembrandt avec une figure du Corrège au milieu. Dans ce temps-là, je sentais le charme de cette vie intime et de cette femme modèle. J’ai tout oublié, et aujourd’hui voilà que je revois le passé à travers le fluide renouvelé. Miette est beaucoup plus belle qu’autrefois, elle a plus de grâce encore. Avec cela, j’ai faim, l’odeur de ses mets me semble délicieuse. L’animal est d’accord avec le poëte pour me crier : La vérité est là, une existence bien réglée et bien pourvue, une femme adorable, un fonds inépuisable de confiance, de respect et de tendresse mutuels.

— Te voilà dans la pleine lumière du cœur et de la raison ; ne le diras-tu pas à Émilie ?

— Non, je n’ose pas ; je ne suis pas encore