Page:Sand - Valvèdre.djvu/138

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Je parlai avec abondance et conviction. Je ne rapporterai pas mes paroles, dont je ne me souviens guère, et que le lecteur imaginera sans peine en se rappelant la théorie de l’art pour l’art, si fort en vogue à cette époque. La réponse de mon interlocuteur, qui m’est très-présente, fera, d’ailleurs, suffisamment connaître le plaidoyer.

— Vous défendez votre Église avec ardeur et talent, me dit-il ; mais je regrette de voir toujours des esprits d’élite s’enfoncer volontairement dans une notion qui est une erreur funeste au progrès des connaissances humaines. Nos pères ne l’entendaient pas ainsi ; ils cultivaient simultanément toutes les facultés de l’esprit, toutes les manifestations du beau et du vrai. On dit que les connaissances ont pris un tel développement, que la vie d’un homme suffit à peine aujourd’hui à une des moindres spécialités : je ne suis pas convaincu que cela soit bien vrai. On perd tant de temps à discuter ou à intriguer pour se faire un nom, sans parler de ceux qui perdent les trois quarts de leur vie à ne rien faire ! C’est parce que la vie sociale est devenue très-compliquée, que les uns gaspillent leur existence à s’y frayer une voie, et les autres à ne rien vouloir entreprendre de peur de se fatiguer. Et puis encore l’esprit humain s’est subtilisé à l’excès, et, sous prétexte d’analyse intellectuelle et de contemplation intérieure, la puissante et infortunée race des poëtes s’use dans le vague ou dans le vide, sans chercher son rassérénement, sa lumière et sa vie dans