Page:Sand - Valvèdre.djvu/144

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vous. Il en est un purement philosophique qui a une bien autre importance : c’est que la santé de l’âme n’est pas plus dans la tension perpétuelle de l’enthousiasme lyrique que celle du corps n’est dans l’usage exclusif et prolongé des excitants. Les calmes et saintes jouissances de l’étude sont nécessaires à notre équilibre, à notre raison, permettez-moi de le dire aussi, à notre moralité !…

Je fus frappé de la ressemblance de cette assertion avec les théories d’Obernay, et ne pus m’empêcher de lui dire que j’avais un ami qui me prêchait en ce sens.

— Votre ami a raison, reprit-il ; il sait sans doute par expérience que l’homme civilisé est un malade fort délicat qui doit être son propre médecin sous peine de devenir fou ou bête !

— Docteur, voilà une proposition bien sceptique pour un croyant de votre force !

— Je ne suis d’aucune force, répondit-il avec une bonhomie mélancolique ; je suis tout pareil aux autres, débile dans la lutte de mes affections contre ma logique, troublé bien souvent dans ma confiance en Dieu par le sentiment de mon infirmité intellectuelle. Les poëtes n’ont peut-être pas autant que nous ce sentiment-là : ils s’enivrent d’une idée de grandeur et de puissance qui les console, sauf à les égarer. L’homme adonné à la réflexion sait bien qu’il est faible et toujours exposé à faire de ses excès de force un abus qui l’épuise. C’est dans l’oubli de ses propres misères