Page:Sand - Valvèdre.djvu/146

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s’est exercée à la réflexion, ne peut point passer auprès d’un autre homme à la manière d’un fantôme pour se perdre dans l’éternelle nuit. Deux âmes libres ne s’anéantissent pas l’une par l’autre : dès qu’elles ont échangé une pensée, elles se sont mutuellement donné quelque chose d’elles-mêmes, et, ne dussent-elles jamais se retrouver en présence matériellement parlant, elles se connaissent assez pour se retrouver dans les chemins du souvenir, qui ne sont pas d’aussi pures abstractions qu’on le pense… Mais c’est assez de métaphysique. Adieu encore et merci de l’heure agréable et sympathique que vous avez mise dans ma journée !

Je le quittai à regret ; mais je croyais devoir conserver le plus strict incognito, n’étant guère éloigné du but de mon mystérieux voyage. Enfin vint le jour où je pouvais compter qu’Alida serait seule chez elle avec Paule et ses enfants, et j’arrivai au versant des Alpes qui plonge jusqu’aux rives du lac Majeur. Je reconnus de loin la villa que je m’étais fait décrire par Obernay. C’était une délicieuse résidence à mi-côte, dans un éden de verdure et de soleil, en face de cette étroite et profonde perspective du lac, auquel les montagnes font un si merveilleux cadre, à la fois austère et gracieuse. Comme je descendais vers la vallée, un orage terrible s’amoncelait au midi, et je le voyais arriver à ma rencontre, envahissant le ciel et les eaux d’une teinte violacée rayée de rouge brûlant. C’était un spectacle grandiose, et bientôt le vent et la foudre,