Page:Sand - Valvèdre.djvu/150

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et je vis bientôt circuler des lumières. Puis on sonna une cloche, et les lumières disparurent. C’était le signal du dîner ; ces fenêtres étaient celles de l’appartement d’Alida.

Je savais donc tout ce qu’il m’importait de savoir. Je retournai à Rocca (c’était le nom de ma petite ferme), afin de ne pas causer d’inquiétude à mes hôtes. Je soupai avec eux et me retirai dans ma chambrette, où je pris deux heures de repos. Quand je fus assuré que moi seul étais éveillé à la ferme, j’en sortis sans bruit. Le temps était propice : très-serein, beaucoup d’étoiles, et pas de lune révélatrice. J’avais compté les angles de mon chemin et noté, je crois, tous les cailloux. Quand l’épaisseur des arbres me plongeait dans les ténèbres, je me dirigeais par la mémoire.

Je n’avais pas donné signe de vie à madame de Valvèdre depuis mon départ de Saint-Pierre. Elle devait se croire abandonnée, me mépriser, me haïr ; mais elle ne m’avait pas oublié, et elle avait souffert, je n’en pouvais douter. Il ne fallait pas une grande expérience de la vie pour savoir qu’en amour les blessures de l’orgueil sont poignantes et saignent longtemps. Je me disais avec raison qu’une femme qui s’est crue adorée ou seulement désirée avec passion ne se console pas aisément de l’outrage d’un prompt et facile oubli. Je comptais sur les amertumes amassées dans ce faible cœur pour frapper un grand coup par mon apparition inopinée, par mon entreprise romanesque. Mon siége était fait. Je comptais dire que j’a-