Page:Sand - Valvèdre.djvu/158

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dis-je, pourquoi ne t’y fier qu’à demi ? Serait-ce un si grand crime ?…

Elle mit ses douces mains sur ma bouche.

— Tais-toi, dit-elle, ne trouble pas mon bonheur par des plaintes et n’offense pas l’auguste paix de cette nuit sublime par des murmures contre le sort. Si j’étais sûre de la miséricorde divine pour ma faute, je ne serais pas sûre pour cela de la durée de ton amour après ma chute.

— Ainsi tu ne crois ni à Dieu ni à moi ! m’écriai-je.

— Si cela est, plains-moi, car le doute est une grande douleur que je traîne depuis que je suis au monde, et tâche de me guérir, mais en ménageant ma frayeur et en me donnant confiance : confiance en Dieu d’abord ! Dis-moi, y crois-tu fermement, au Dieu qui nous voit, nous entend et qui nous aime ? Réponds, réponds ! As-tu la foi, la certitude ?

— Pas plus que toi, hélas ! Je n’ai que l’espérance. Je n’ai pas été longtemps bercé des douces chimères de l’enfance. J’ai bu à la source froide du doute, qui coule sur toutes choses en ce triste siècle ; mais je crois à l’amour, parce que je le sens.

— Et moi aussi, je crois à l’amour que j’éprouve ; mais je vois bien que nous sommes aussi malheureux l’un que l’autre, puisque nous ne croyons qu’à nous-mêmes.

Cette triste appréciation qui lui échappait me jeta dans une mélancolie noire. Était-ce pour nous juger ainsi l’un l’autre, pour mesurer en poëtes sceptiques