Page:Sand - Valvèdre.djvu/194

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de confusion pour prendre place. Je me trouvai avec elle vis-à-vis de M. Obernay père et d’Adélaïde. Quand ils eurent ouvert la figure, les deux graves personnages se firent signe et s’éclipsèrent. Je devenais le cavalier d’Adélaïde, avec laquelle je n’avais pas osé danser sous les yeux d’Alida, et qui me tendit sa belle main avec confiance. Elle n’y entendait certes pas malice ; mais mademoiselle Juste savait bien ce qu’elle faisait. Elle parlait bas au père Obernay en nous regardant d’un air moitié bienveillant, moitié railleur. La figure candide du vieillard semblait lui répondre : « Vous croyez ? Moi, je n’en sais rien, ce n’est pas impossible. »

Oui, je l’ai su plus tard, ils parlaient du mariage autrefois vaguement projeté avec mes parents. Juste, sans rien savoir de mon amour pour Alida, pressentait quelque charme déjà jeté sur moi par l’enchanteresse, et elle s’efforçait de le faire échouer en me rapprochant de ma fiancée. Ma fiancée ! cette splendide et parfaite créature eût pu être à moi ! Et moi, je préférais à une vie excellente et à de célestes félicités les orages de la passion et le désastre de mon existence ! Je me disais cela en tenant sa main dans la mienne, en affrontant les magnificences de son divin sourire, en contemplant les perfections de tout son être pudique et suave ! Et j’étais fier de moi, parce qu’elle n’éveillait en moi aucun instinct, aucun germe d’infidélité envers ma dangereuse et terrible souveraine ! Ah ! si elle eut pu lire dans mon âme, celle qui la possédait si entièrement ! Mais elle y lisait à contre-sens,