Page:Sand - Valvèdre.djvu/206

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Quand j’eus repris un peu mes sens et résumé ma situation, j’eus horreur de ma faiblesse.

— Non certes, m’écriai-je intérieurement, je n’attirerai pas Alida dans ce lieu, où son image a été profanée par des espérances outrageantes. Elle ne verrait qu’avec dégoût ce luxe et ces présents que lui destinait un amour indigne d’elle. Et, moi-même, je souffre ici comme dans un air malsain chargé d’idées révoltantes. Je n’écrirai pas d’ici à Alida ; je sortirai ce soir de ce refuge impur pour n’y jamais rentrer !

La nuit approchait. Dès qu’elle fut sombre, je priai Manassé, qui était venu prendre mes ordres, de me conduire chez Moserwald ; mais Moserwald arrivait au même instant pour s’informer de moi, et nous rentrâmes ensemble dans le casino, où, sur l’ordre de son maître, Manassé nous servit un repas très-recherché.

— Mangeons d’abord, disait Moserwald. Je ne serais pas rentré ici au risque d’y rencontrer une personne qui ne doit pas m’y voir ; mais puisque vous me dites qu’elle n’y viendra pas, et puisque vous vouliez venir me parler, nous serons plus tranquilles ici que chez moi. Vous n’aviez pas pensé à dîner, je m’en doutais. Moi, je n’y songeais que pour vous, mais voilà que je me sens tout à coup grand’faim. J’ai tant pleuré ! Je vois qu’on a raison de le dire : les larmes creusent l’estomac.

Il mangea comme quatre ; après quoi, les vins d’Espagne aidant à la digestion de ses pensées, il me dit naïvement :