Page:Sand - Valvèdre.djvu/313

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par lassitude. Je lui en voulais donc, et, sans songer à mes torts, je m’irritais des siens. Mes torts ! je n’y croyais pas ; je disais comme toi : « Je suis si vertueuse au fond ! et j’ai un mari si indifférent ! » Sa douceur, sa politesse, sa libéralité, ses égards, je les attribuais à un autre motif que la générosité. Ah ! pourquoi ne parlait-il pas ? Un jour enfin… Tiens, c’est aujourd’hui le même jour de l’année !… il y a un an… Je l’ai entendu parler de moi et je n’ai pas compris, j’étais folle ! Au lieu d’aller me jeter à ses pieds, je me suis jetée dans les bras d’un autre, et j’ai cru faire une grande chose. Ah ! illusion, illusion ! dans quels malheurs tu m’as précipitée !

— Mon Dieu, reprit Bianca, vous regrettez donc votre mari à présent ? Vous n’aimez donc pas ce pauvre M. Francis ?

— Je ne peux pas regretter mon mari, dont je n’ai plus l’amour, et j’aime Francis de toute mon âme, c’est-à-dire de tout ce qui m’est resté de ma pauvre âme !… Mais, vois-tu, Bianca, toi qui es femme, tu dois bien comprendre cela : on n’aime réellement qu’une fois ! Tout ce qu’on rêve ensuite, c’est l’équivalent d’un passé qui ne revient jamais. On dit, on croit qu’on aime davantage, on voudrait tant se le persuader ! On ne ment pas, mais on sent que le cœur contredit la volonté. Ah ! si tu avais connu Valvèdre quand il m’aimait ! Quelle vérité, quelle grandeur, quel génie dans l’amour ! Mais tu n’aurais pas compris, pauvre petite, puisque je n’ai pas compris moi-même ! Tout