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Page:Sandeau - Houssaye - Les Revenants.djvu/33

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s’écoulèrent sans que j’en marquasse le cours.

» Rendu à la vie et à la raison, cette nuit de délire me poursuivit d’abord de paroles vagues et mystérieuses. Je me rappelais qu’autrefois tout Vérone avait parlé de la passion sympathique que la prima dona nourrissait pour moi. Incrédule comme autrefois, je souriais de mes souvenirs ; mais au moins j’avais marqué dans la vie de Gina, je n’avais point traversé son existence comme une joie qui passe et qu’on oublie, comme un jour qu’un autre jour efface. Puis une incertitude effrayante me plongea dans mille tourments. Je songeai à mes jours de folie : je me crus abusé par les rêves fantasques de la fièvre qui m’agitait alors ; cette nuit de délices disparut dans un lointain douteux ; ma tête, trop faible pour tant de bonheur, le rejeta bientôt sans y croire ; et cependant, ange déchu, je ne sais quelle idée confuse du ciel vivait en moi ; j’ignore à quels souvenirs du passé mon sang refluait violemment vers mon cœur. Je fus longtemps souffrant et faible. Dès que j’eus retrouvé des forces je voulus revoir encore ce théâtre où j’allais autrefois pour vivre. Je m’y traînai avec peine, et je tombai accablé de fatigue sur le dernier banc. Gina remplissait encore cette salle dé-