Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/241

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funkel (par association avec funkeln « étinceler ») et en français escarboucle, rattaché à boucle. Calfeter, calfetrer est devenu calfeutrer sous l’influence de feutre. Ce qui frappe à première vue dans ces exemples, c’est que chacun renferme, à côté d’un élément intelligible existant par ailleurs, une partie qui ne représente rien d’ancien (Kar-, escar-, cal-). Mais ce serait une erreur de croire qu’il y a dans ces éléments une part de création, une chose qui ait surgi à propos du phénomène ; c’est le contraire qui est vrai : il s’agit de fragments que l’interprétation n’a pas su atteindre ; ce sont, si l’on veut, des étymologies populaires restées à moitié chemin. Karfunkel est sur le même pied que Abenteuer (si l’on admet que -teuer est un résidu resté sans explication) ; il est comparable aussi à homardhom- ne rime à rien.

Ainsi le degré de déformation ne crée pas de différences essentielles entre les mots maltraités par l’étymologie populaire ; ils ont tous ce caractère d’être des interprétations pures et simples de formes incomprises par des formes connues.

On voit dès lors en quoi l’étymologie ressemble à l’analogie et en quoi elle en diffère.

Les deux phénomènes n’ont qu’un caractère en commun : dans l’un et l’autre on utilise des éléments significatifs fournis par la langue, mais pour le reste ils sont diamétralement opposés. L’analogie suppose toujours l’oubli de la forme antérieure ; à la base de la forme analogique il traisait (voir p. 231), il n’y a aucune analyse de la forme ancienne il trayait ; l’oubli de cette forme est même nécessaire pour que sa rivale apparaisse. L’analogie ne tire rien de la substance des signes qu’elle remplace. Au contraire l’étymologie populaire se réduit à une interprétation de la forme ancienne ; le souvenir de celle-ci, même confus, est le point de départ de la déformation qu’elle subit. Ainsi dans un cas c’est le souvenir, dans l’autre l’oubli qui est