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Appendices aux troisième et quatrième parties

A.

Analyse subjective et analyse objective.

L’analyse des unités de la langue, faite à tous les instants par les sujets parlants, peut être appelée analyse subjective ; il faut se garder de la confondre avec l’analyse objective, fondée sur l’histoire. Dans une forme comme grec híppos, le grammairien distingue trois éléments : une racine, un suffixe et une désinence (hipp-o-s) ; le grec n’en apercevait que deux (hípp-os, voir p. 213). L’analyse objective voit quatre sous-unités dans amābās (am-ā-bā-s) ; les Latins coupaient amā-bā-s ; il est même probable qu’ils regardaient -bās comme un tout flexionnel opposé au radical. Dans les mots français entier (lat. in-teger « intact »), enfant (lat. in-fans « qui ne parle pas »), enceinte (lat. in-cincta « sans ceinture »), l’historien dégagera un préfixe commun en-, identique au in- privatif du latin ; l’analyse subjective des sujets parlants l’ignore totalement.

Le grammairien est souvent tenté de voir des erreurs dans les analyses spontanées de la langue ; en fait l’analyse subjective n’est pas plus fausse que la « fausse » analogie (voir p. 223). La langue ne se trompe pas ; son point de vue est différent, voilà tout. Il n’y a pas de commune mesure entre l’analyse des individus parlants et celle de l’historien, bien que toutes deux usent du même procédé : la confrontation des séries qui présentent un même élément. Elles se justifient l’une et l’autre, et chacune con-