Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/50

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tion, ensuite on y renonce. C’est ce qui est arrivé en français pour oi.

On prononçait : On écrivait :
au XIe siècle . . . . 1. rei, lei rei, lei.
au XIIe siècle . . . . 2. roi, loi roi, loi.
au XIVe siècle . . . . 3. roè, loè roi, loi.
au XIXe siècle . . . . 4. rwa, lwa roi, loi.

Ainsi, jusqu’à la deuxième époque on a tenu compte des changements survenus dans la prononciation ; à une étape de l’histoire de la langue correspond une étape dans celle de la graphie. Mais à partir du XIVe siècle l’écriture est restée stationnaire, tandis que la langue poursuivait son évolution, et dès ce moment il y a eu un désaccord toujours plus grave entre elle et l’orthographe. Enfin, comme on continuait à joindre des termes discordants, ce fait a eu sa répercussion sur le système même de l’écriture : l’expression graphique oi a pris une valeur étrangère aux éléments dont elle est formée.

On pourrait multiplier indéfiniment les exemples. Ainsi pourquoi écrit-on mais et fait ce que nous prononçons et  ? Pourquoi c a-t-il souvent en français la valeur de s ? C’est que nous avons conservé des graphiques qui n’ont plus de raison d’être.

Cette cause agit dans tous les temps : actuellement notre l mouillée se change en jod ; nous disons éveyer, mouyer, comme essuyer, nettoyer ; mais nous continuons à écrire éveiller, mouiller.

Autre cause du désaccord entre la graphie et la prononciation : quand un peuple emprunte à un autre son alphabet, il arrive souvent que les ressources de ce système graphique sont mal appropriées à sa nouvelle fonction ; on est obligé de recourir à des expédients ; par exemple, on se servira de deux lettres pour désigner un seul son. C’est le cas pour le þ (fricative dentale sourde) des langues germaniques : l’alpha-