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Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/127

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LA TOUR DE LA LANTERNE.

embarrassée et malade, comme les images charmantes d’un livre aimé qu’elle cherchait à rouvrir à tout instant. Et peu à peu, elle arriva à se persuader qu’elle avait vécu une autre vie (il devait y avoir de cela bien longtemps) ; et, tout en adorant le souvenir de ceux qu’elle avait connus jadis, elle crut naïvement qu’ils étaient des êtres fictifs, car le malheur voulut, par surcroît, qu’elle perdit la mémoire de leurs noms. Cette amnésie était telle qu’il lui fut impossible de se rappeler le nom même de la ville où elle avait reçu le jour et qu’elle connaissait si bien. Elle ne se souvenait que du diminutif de son prénom, Liette, si doux aux lėvres de ceux qui l’avaient tant aimée ; et pour faire comprendre qu’elle s’appelait ainsi, elle s’écriait souvent, en se frappant la poitrine de ses deux mains : « Je suis Liette ! Liette ! Liette ! »

Hélas ! tout était confus dans ce jeune cerveau, fatigué par une maladie qui l’aurait emportée cent fois, si Liette était née délicate.

Mais si sa nature nerveuse et bien constituée devait finir par triompher de l’état maladif dans lequel son accident l’avait plongée, ses facultés intellectuelles, très atteintes, restèrent longtemps affaiblies ; et cette enfant, jusqu’alors si bien douée, allait avoir grand’peine, par la suite, à ne pas être une pauvre petite arriérée.

La modeste maison qu’habitaient Mrs. Moore et sa fille Edith était située en plein midi sur l’un des versants d’un coteau, à un mille environ d’une usine qu’exploitait un ricbe Irlandais, leur compatriote. C’était une maisonnette à un seul étage dont les fenêtres à guillotine, garnies de quelques pots de géranium, donnaient sur une route peu fréquentée. Un jardin et une cour étroite, où picoraient deux ou trois poules, l’entouraient et l’isolaient des maisons les plus proches.

Les deux femmes vivaient seules et misérablement depuis la mort du mari, ancien magister du village. Elles tiraient leurs ressources du maigre produit de leur travail de tisseuses, ainsi que des fruits et des légumes de leur jardin.

L’aspect de leur cottage était gai, mais leur vie était triste, comme dans tous les intérieurs où l’argent fait défaut. Mrs. Moore