Aller au contenu

Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
LA TOUR DE LA LANTERNE.

une reconnaissance absolument miraculeuse, je chancelai et tombai à terre, la figure dans mes mains, sous l’empire d’une émotion de joie trop forte pour mes nerfs déjà très ébranlés par le récent accident.

« Je dus jeter un cri, un appel que Carter entendit. Il accourut ; et en me voyant proslernée devant le précieux objet dont la vue venait de faire surgir mon passé, il me demanda, craintif, la cause de ma stupeur étrange et des larmes qu’il me voyait répandre. Cependant, je pus me relever et priai cet homme de me répondre avec sincérité : « Vite, Carter, dites-moi la vérité telle qu’elle est ; n’inventez rien ; soyez franc comme devant la mort. C’est ma vie, croyez-le, qui est suspendue à vos lèvres ; car le hasard m’a conduite aujourd’hui vers vous. Où avez-vous pris cette canne ? qui vous l’a donnée ?

« — La chose n’est pas compliquée, reprit l’ancien convict. J’ai trouvé cette belle canne sur la mer où elle surnageait à la dérive, il y a de cela une dizaine d’années. Elle est venue d’elle-même aborder au canot accroché : l’arrière de notre bateau. Je l’ai saisie et l’ai toujours gardée avec respect comme un talisman, car, à partir de ce jour, elle m’a porté bonheur. C’était précisément mon premier voyage sur mer, après mon retour de là-bas… vous savez ce que je veux dire… j’étais embarqué avec Tom Will, nous sortions du port de La Rochelle et….

« — De La Rochelle ! oh ! assez, Carter, ne parlez plus ! je sais et comprends tout maintenant.

« Ah ! Harris, pourrai-je supporter le bonheur qui m’envahit encore à cet instant ? Ce bonheur fut tel hier que, tremblant de la tête aux pieds, je me sentis de nouveau perdre connaissance.

« Carter me fit avaler quelques gouttes de whisky ; je pus me remettre et verser d’abondantes larmes de joie ; puis, je mis le pauvre homme abasourdi au courant de ce qui m’arrivait. « — Grâce à vous, Carter, lui dis-je, un fait merveilleux vient de se produire ici même. Je cesse enfin d’être une créature perdue et égarée dans le monde. Et voici que la mémoire me revient. La