Aller au contenu

Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
LA TOUR DE LA LANTERNE.

Sa grand’mère est vivante, il faut la retrouver, mas où est-elle ?…

Tout en marchant, la jeune fille s’est rapprochée du port qu’un rayon de soleil, déchirant les nuages noirs, illumine tout à coup. Elle revoit la rive, telle qu’elle l’avait laissée jadis ; et en contemplant ce tableau, si parfaitement conforme à ses clairs souvenirs d’enfant, une joie passagère la fait sourire. Elle resterait là plus longtemps sans doute, si elle avait le cœur satisfait ; mais l’anxiété et l’abandon où elle se trouve torturent trop cette âme, pour qu’elle puisse jouir du moindre bonheur.

Laissant le port, elle remonte vers l’église où petite fille elle aimait à accompagner sa grand’mère aux offices.

Une déception l’y attend encore. Cette église, vieille construction peu solide, vient d’être fermée, et sur les murs, entourés de palissades en planches pour l’isoler de la rue, se lit l’arrêté préfectoral qui la désaffecte.

Ainsi, plus rien ! rien pour la consoler, pour lui donner espoir. Et dans cette vieille ville qui n’e pas changé d’aspect, où chaque chose semble être à la même place, la pauvre enfant s’y trouve étrangère ; car tout lui paraît bouleversé ou anéanti.

Maintenant découragée, elle va devant elle sans but, sans décision, l’âme troublée par la déconvenue.

Dans un quartier de belle apparence, mais très solitaire qu’elle traverse, elle aperçoit soudain, sous le portail d’une riche demeure, une énorme charretée de bois autour de laquelle un mouvement, un va-et-vient, un bruit de ferrailles, de scies, un murmure de voix attirent vaguement son attention. Une colonie de négrillons aux gestes menus et agités, s’occupent à fendre, scier, ranger et rentrer cette grosse provision d’hiver.

Inconsciemment Liette s’arrête et les regarde ; puis, tont à coup un souvenir du temps passé lui revient à la mémoire.

Ce petit homme, la jambe en l’air sur son chevalet, qui se démène pour scier vivement le bois qu’on lui apporte, lui rappelle un épisode de sa vie d’autrefois. Cette voix aiguë, qui commande sans réplique, ne l’a-t-elle pas entendue jadis ?