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Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/233

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LA TOUR DE LA LANTERNE.

taux, où elle átait arrivée avec le père Malaquin, très malade et presque mourante de fatigue et de douleur, Liette fut obligée de garder le lit. Sa vaillance et son courage physique étaient à bout.

Les vieux Tourneur, braves gens, qui lui avaient donné asile, l’entourèrent d’égards, de soins qui lui eussent été bien sensibles à tout autre moment ; mais actuellement elle ne pensait qu’à la famille ingrate qu’elle était venue rejoindre et dont le silence persistant et l’indifférence dédaigneuse l’accablaient, bien qu’elle sût par le père Malaquin, envoyé chaque jour aux informations, que grand-papa et l’oncle Baude-Isart étaient toujours seuls aux Gerbies.

À cette douleur s’en joignait une autre bien préoccupante. Le soir de sa course sur la route de la Voirette avec le père Malaquin, elle avait hélas ! perdu l’unique preuve de son identité : le paquet de ses effets d’enfant avait glissé de son bras, et son lourd fardeau, la roue du rémouleur, l’avait empêchée de s’en apercevoir.

Les jours s’écoulèrent… Le 19 novembre, la veille de la fête de la Saint-Edmond, à deux pas de cette famille, qui ne voulait pas la reconnaître et pour laquelle elle avait traversé tant d’épreuves, Liette passa la journée à errer dans les sentiers des bois qui entourent la Voirette, les yeux constamment fixés vers les Gerbies, ce paradis perdu, dont la ceinture d’arbres, maintenant dénudés, laissait à découvert les façades.

Elle se promena seule dans ces bois dépouillés de verdure, se remémorant son affreux passé là-bas, sur la terre d’exil, ce passé qui ne l’avait pas tuée, parce qu’elle avait l’espoir du retour. En suivant les sentes des bois ou les longues routes, bordées de peupliers, qu’elle avait parcourues jadis avec Botte, elle constata que bois et routes n’avaient gardé aucun souvenir d’autrefois. Des coupes nombreuses avaient changé la physionomie de ces alentours verdoyants, si charmants dans son enfance, sombres à l’heure actuelle, dépouillés de la poésie dont elle se plaisait à les entourer. Les feuilles qui gisaient à terre, rouges et humides, répandaient une odeur de bois mort, de pourriture et de tristesse, en harmonie avec ses pensées. Elle chercha, sans les retrouver,