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Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/246

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UN MESSAGER DE MAN.

tune ; ce partage me donnera le droit de faire appel à leur cœur. Ainsi, cet argent qui devait m’exclure de ma famille me conduira vers elle.

« Enfin, ajouta Liette, il est un pauvre être, le seul qui ne se soit pas détourné de moi, dans ma misère, le seul qui m’ait reconnue. Grâce à lui, je me trouve au milieu de vous. Je tiens à lui assurer le pain de sa vieillesse et à lui donner la joie de vivre quelque temps heureux ici-bas. Vous ignorez l’amertume des larmes de ce pauvre vieux, accusé sans preuves de ma disparition. Il faut réparer sans retard ces injustes soupçons. Aussi, je prie instamment mon père et ma mère de lui remettre sur ce qui doit me revenir de mon parrain une somme d’argent qui lui permettra de vivre désormais sans inquiétude. »

Dans le silence d’étonnement qui accueillit ces paroles, une voix se fit entendre :

« Tout cela est fort touchant, mais vous ne pouvez pas disposer de cette fortune, car vous n’êtes pas majeure. »

C’était Baude-Isart qui, d’un ton ironique, lançait cette boutade.

« Mais son mariage l’émancipe et lui permet de le faire du consentement de son mari dit, avec malice, grand-papa, fier de retrouver ce souvenir lointain du temps où il faisait son droit, — tout de travers, hélas ! »

À ce mot de mariage Liette avait rougi, mais cette jeune fille, mûrie par une dure et précoce expérience de la vie, habituée à prendre de promptes et définitives décisions, ne se troubla point ; et, prenant la main d’Harris, dit avec simplicité :

« Cher grand-papa vous avez deviné le secret de nos cœurs. »

Et se tournant vers Mme Baude, elle ajouta :

« À toi, ma grand’mère adorée, dont le souvenir, plein de douceur, ne m’a jamais abandonnée et m’a donné la force de vivre, je présente cet ami précieux, mon cher fiancé, auquel ! je dois la vie de l’intelligence. C’est grâce à ses leçons élevées, à la noblesse de ses sentiments que je puis reprendre, sans rougir de mon infériorité de condition, ma place parmi vous. Considère-le comme ton enfant ; nous serons désormais deux de plus à te chérir. »