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L’économie politique, telle que l’avaient conçue Turgot, Adam Smith, J.-B. Say tenait tout entière, dans un mot : liberté. Liberté du commerce, liberté de l’individu ; échange libre et libre initiative. D’Argenson avait déjà dit : « Pas trop gouverner. » Après lui, élargissant sa pensée, les économistes avaient répété « Laissez faire, laissez passer. » Ils estimaient que tout va à souhait quand rien n’est réglementé. La richesse des nations est faite de la richesse des individus. Vous voulez la nation prospère ; laissez les individus agir à leur guise. Leur intérêt vous répond de leur activité ; dans la poursuite du bonheur et du bien-être, ils sauront trouver la voie la plus facile et la plus courte. Donnez-leur la sécurité ; garantissez contre la violence leurs instruments de travail, leurs champs, leurs ateliers, en un mot leur propriété. Pour le reste, souffrez qu’ils soient libres de travailler à leur heure et à leur façon, libres de vendre, où et comme il leur plaît, le fruit de leur labeur; pas d’entraves ; pas de tutelle.

Et derrière cette doctrine économique, il y avait toute une philosophie capable de satisfaire les esprits les plus généreux. Ce culte, cette constante revendication de la liberté s’appuyaient, chez les fondateurs et les adeptes de cette grande école, sur une foi profonde dans les progrès de l’esprit humain. Prétendre que les réglementations sont inutiles, que l’individu sait mieux que personne ce qui peut lui convenir et que rien ne peut dépasser en clairvoyance et en hardiesse l’initiative privée, cela revient à dire que tout homme a reçu sa part de raison et de sagesse que cette raison et cette sagesse, développées, dans le lent travail des siècles, par l’étude et l’expérience, sont aujourd’hui des guides suffisants et qu’il serait téméraire d’en vouloir chercher d’autres

Voilà quelles étaient les théories de l’école libérale.

Il est de mode, à cette heure, de parler des premiers économistes avec quelque dédain. La société moderne leur doit tout simplement la liberté du travail, qui est en économie politique ce qu’est en philosophie la liberté de penser. Cette liberté du travail, il semble de même qu’on en fasse aujourd’hui bon marché. Ce qui paraissait à nos pères le premier des biens serait, si l’on en croit certains esprits, pour beaucoup d’entre nous, une gêne et un fardeau, et la liberté réglementée, la liberté diminuée sinon supprimée serait, dans une partie du monde civilisé, jugée une garantie de bien-être matériel et de paix sociale. Et toute une école, qui jouit d’une autorité considérable, est née de ce sentiment.

Certes, dans les théories des premiers économistes, dans les théories, du reste, de tous ceux qui ont contribué à la Révolution, il est des parties : l’ordre naturel, le droit naturel, la créature parfaite au sortir des mains du créateur, l’égalité absolue de tous les hommes, qui sont dès longtemps condamnées. Mais d’autres demeurent intactes et, par exemple, la clairvoyance des intérêts particuliers, base solide de notre économie politique, n’a pas été entamée et c’est pourquoi toutes les nations ont inscrit et maintenu dans leurs codes la liberté des contrats.

Au surplus, depuis les physiocrates, l’école libérale a marché. Auguste Comte, Littré et tous leurs disciples, par leur conception de la sociologie, Stuart Mill et ceux qui, en Angleterre, en France, en Suisse, en Italie, se rattachent à