Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 1.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crédit et l’on peut rechercher à ce nouveau point de vue quels sont les effets de l’assurance fonctionnant, encore ici, comme entreprise de sécurité.

La crainte des chances contraires diminue l’initiative et réduit la concurrence ; selon la remarque d’Adam Smith, chaque branche d’entreprise ne se développe qu’à mesure que les chances de succès l’emportent sur celles de perte. L’assurance supprime une partie de celles-ci ou les transforme en augmentation connue des frais généraux ; par suite, son action sur le développement de l’esprit d’entreprise est énergique et efficace à ce point que l’on ne pourrait supprimer l’assurance sans voir aussitôt diminuer cet esprit dans de notables proportions. Ôter à la navigation la garantie des risques de mer, ce serait interdire les entreprises de commerce maritime à tout autre qu’au négociant disposant de capitaux suffisants pour couvrir lui-même les chances de perte ; ce serait créer un monopole et aboutir à une élévation considérable des frais de transport, non pas seulement par l’effet d’une moindre concurrence, mais parce que l’armateur se trouverait obligé de prélever sur les prix du transport une prime beaucoup plus forte, dès qu’on aurait supprimé l’effet de compensation résultant de la solidarité ; ce serait, en un mot, rétablir l’assurance latente, d’autant plus chère qu’elle est moins certaine de ses résultats. Les mêmes effets se produiraient dans tout autre genre d’entreprise.

Si l’on envisage l’assurance non plus comme productive de sécurité, mais comme entreprise de reconstitution des capitaux, on trouve qu’elle exerce, par ses résultats immédiats, une autre et plus directe influence sur la production. On verra, dans une autre partie de ce Dictionnaire, que l’épargne (voy. ce mot), dont le but est la formation des richesses, trouve son premier emploi dans le renouvellement des capitaux détruits ou consommés que ce phénomène de renouvellement, incessant dans la vie économique, est beaucoup plus important et beaucoup plus rapide que celui de l’accumulation ou de l’accroissement net de la somme des capitaux existants ; enfin que la rapidité de ce mouvement est un élément de prospérité économique. Or, ce renouvellement est lent et difficile quand il s’agit de capitaux détruits par le hasard. L’irrégularité et la soudaineté de ces destructions les rend si préjudiciables qu’elles seules sont qualifiées de sinistres, de malheurs ou de désastres, parce que, plus que tous autres, elles interrompent la production subitement et souvent pour longtemps. L’assurance vise spécialement ces pertes et aplanit ces difficultés. Son action est ici remarquable et provient du caractère anticipé de la reconstitution opérée. La promptitude dans la réparation des conséquences du sinistre abrège considérablement les retards apportés à la production. En un mot, l’assurance est la plus large et la plus féconde application de la reconstitution des capitaux, elle en est le mode le plus rapide et, par cette rapidité même, elle contribue puissamment à leur activité productive.

En résumé, l’assurance utilise les forces de l’épargne, du crédit, de la productivité des capitaux et, à son tour, elle communique à ces diverses branches de la vie économique une activité nouvelle. Ses développements ne peuvent être considérables que dans les pays ayant déjà formé leurs capitaux et jouissant d’abondants revenus, parce que, comme toute épargne, elle suppose un excédent de la production sur la consommation, c’est-à-dire un état économique prospère ; mais, à son tour, elle crée des conditions éminemment favorables à l’accroissement de cette prospérité, et l’on peut y voir un étonnant exemple de la dépendance réciproque où se trouvent les forces économiques et de la puissance qu’elles recèlent quand elles fonctionnent dans un harmonieux agencement.

18. Portée sociale et valeur morale de l’assurance.

Que l’assurance soit un instrument perfectionné aboutissant à un progrès économique certain, c’est ce qui résulte des développements qui précèdent. Comme toute institution de prévoyance, elle n’est pas sans avoir en outre une certaine portée sociale ; il faut donc envisager rapidement son rôle à ce point de vue.

M. Leroy-Beaulieu a dit très justement quelque part qu’il y a la religion de l’assurance, mais qu’il y a aussi une superstition ou un mysticisme de l’assurance. Sans suivre dans leur enthousiasme les fanatiques de l’institution, on peut reconnaître qu’elle produit des effets bienfaisants. La concentration et la solidarisation des efforts prévoyants ; la stricte équité qui proportionne l’effort de chacun à l’utilité probable qu’il en retirera ; la stimulation de l’épargne aux jours prospères et le secours apporté aux heures d’infortune, tout cela lui donne le caractère d’une utile institution sociale ou d’une arme précieuse offerte à l’homme dans sa lutte contre le malheur. Mais on a présenté quelquefois l’assurance comme une forme ennoblie de l’épargne ; elle aurait une valeur morale supérieure parce qu’elle ferait œuvre de fraternité. L’exagération ici est manifeste ;