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BOURGEOISIE 218 BOURGEOISIE

dire que ses voeux demeurèrent stériles. La hardiesse de ses idées n’en éclate que mieux dans la longue résistance qu’elles rencontrèrent. Aux États généraux de 1355, elle émet le vœu de l’égale répartition de l’impôt. Elle demande que le droit de percevoir les taxes ainsi que le contrôle de l’administration financière soient donnés aux États agissant par leurs délégués à Paris et dans les provinces. Elle réclame la suppression des monopoles exercés sous le nom de tierces personnes par les officiers royaux ou seigneuriaux. Ce n’est encore qu’un début. En 1413, les réformateurs bourgeois, nommés parl’université et par la ville de Paris, agissent révolutionnairement. Ils contraignent le roi

Charles VI à donner force de décrets à leurs résolutions, parmi lesquelles on trouve au premier rang l’abolition de la vénalité des charges et tout un ensemble de mesures destinées à mettre la population des campagnes à l’abri des abus, non seulement de la force, mais de la loi. Quelques réclamations économiques se font entendre encore aux États généraux de 1484. Elles vont s’accroître en hardiesse, en étendue, pendant le seizième siècle.

Il s’ouvre pour ainsi dire par un livre où l’économie politique occupe pour la première fois une place assez considérable, bien qu’on ait peu coutume de l’y aller chercher. L’historien bourgeois d’un roi bourgeois, Comines, l’historien de Louis XI, expose dans ses Mémoires un plan de réformes aussi large que fortement lié. Quelles sont les vues économiques de ce premier publiciste de la bourgeoisie

? Au dix-neuvième chapitre de son 

livre V, se déclarant avec une netteté singulière pour la forme du gouvernement anglais, réclamant la tenue régulière des États et donnant de ses préférences et de ses vœux des raisons non seulement de pure politique, mais d’économiste et de financier, il conteste vivement aux monarques le droit de lever l’impôt sur leurs sujets sans leur consentement il attribue au roi défunt, et soutient par des raisons qui lui sont propres, le projet d’établir l’unité dans les poids et mesures, et celui d’abolir les péages à l’intérieur et d’établir pour le commerce la libre circulation en rejetant les douanes à la frontière. On ne taxera pas sans doute de telles idées de timidité ni d’exclusion. Nous trompionsnous en affirmant qu’il y avait en France, de longue date, comme un pressentiment continu, comme une tradition de la vérité économique, au profit non de quelques privilégiés, mais de tous les citoyens sans acception de classe ?

e ses voeux demeurèrent stériles. La Ces vues si fermes et si précises dans se de ses idées n’en éclate que mieux tête de Philippe de Comines éclatent eri vœu Ces vues si fermes et si précises dans la tête de Philippe de Comines éclatent eri vœux publics aux États généraux de 1560. La suppression des douanes intérieures, l’unité des poids et mesures, voilà le double vœu économique qu’y fait entendre le tiers état. Il demande aussi la peine de déchéance des droits seigneuriaux contre tout noble convaincu d’exaction envers les habitants de ses domaines. L’année suivante, aux États de Pontoise, le droit de l’État sur les possessions du clergé fut posé en principe. Augustin Thierry, si instructif sur les États et sur l’histoire de la bourgeoisie en général, nous dit dans sa belle Introduction aux documents inédits du tiers état quel fut le plan auquel s’arrêtèrent les députés bourgeois pour l’extinction de la dette. Il consistait à vendre tous les biens ecclésiastiques en indemnisant le clergé par des pensions établies suivant le rang de ses membres. « On calculait que cette vente, dit l’auteur, devait produire 120 millions de livres dont 48 seraient prélevés comme fonds de la dotation nouvelle, 42 employés à l’amortissement de la dette publique, et 30 placés à intérêt dans les villes et les ports de mer pour y alimenter le commerce, en même temps qu’ils donneraient un revenu fixe au trésor. Ce plan, qui n’était rien moins que l’anéantissement du clergé comme ordre politique, tomba sans discussion devant l’offre faite et l’engagement pris par les députés ecclésiastiques d’éteindre avant dix ans le tiers de la dette par une cotisation imposée à tous les membres de leur ordre ». Une telle promesse bien entendu fut oubliée et la mesure révolutionnaire de la sécularisation des biens du clergé dormit pendant deux cents ans.

Au temps de HenriIII et de Henri IV,le progrès vers l’égalité civile s’accéléra par l’abaissement dans la vie de cour des hautes existences nobiliaires et par l’élévation simultanée des différentes classes du tiers état. « Trois causes, dit l’illustre historien que nous venons de citer, concoururent à diminuer pour la haute bourgeoisie l’intervalle qui la séparait de la noblesse l’exercice des emplois publics, et surtout des fonctions judiciaires, continué dans les mêmes familles et devenu pour elles comme un patrimoine par le droit de résignation ; l’industrie des grandes manufactures qui créait d’immenses fortunes, et ce pouvoir de la pensée que la renaissance des lettres avait fondé au profit des esprits actifs. En outre, la masse entière de la population urbaine avait été remuée profondément par les idées et par les troubles du siècle ; des hommes de tout rang et de toute profession s’étaient rapprochés les