Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 1.djvu/25

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moins il y a toujours, dans les années d’abondance, plus de consommations improductives que dans les années ordinaires ; l’abaissement de valeur des produits en est évidemment la cause. Plus l’éducation économique d’un peuple est élevée, plus ces consommations improductives sont restreintes. Elles atteignent leur maximum chez les sauvages qui, dans les périodes d’abondance de fruits ou de gibier, gaspillent et détruisent ce qu’ils ne peuvent manger. Beaucoup de ces peuplades en sont réduites, dans les périodes de disette, à se nourrir, comme les Fuégiens, de leur propre vermine.

Le commerce et les moyens de transports qui facilitent les transactions, tendant à équilibrer, sur le marché général, la loi de l’offre et de la demande, il en résulte que, lorsqu’il y a abondance de certains produits dans un pays, et rareté ou disette, dans un autre, de ces mêmes produits, l’excédent du premier pays est dirigé sur le second, si des droits de douane ne s’y opposent pas. La facilité des transports par paquebots et chemins de fer, la rapidité des informations commerciales par télégraphe et téléphone, rendent de moins en moins probables les disettes si fréquentes au siècle dernier, alors qu’il existait des entraves de toute sorte au commerce, que les routes étaient peu sûres, les préjugés nombreux. Nous ne sommes pas près de voir se réaliser les idées de liberté touchant la suppression des douanes entre nations. Ces douanes sont autant de barrages artificiels qui contrarient la loi de niveau de l’offre et de la demande cependant, jusqu’à présent, les douanes intérieures n’ont pas été rétablies, et il suffit de l’exemple que peut donner un marché restreint, comme l’est la France, pour convaincre de l’utilité qu’il y a toujours à laisser aller les produits là où ils font besoin. Turgot, lorsqu’il était intendant du. Limousin, a prouvé, en l’appliquant au fort d’une disette, l’excellence de la formule laissez faire, laissez passer.

Est-il nécessaire de démontrer que l’abondance vaut mieux que la disette  ? Ne suffit-il pas d’énoncer cette vérité, évidente par elle-même, que consacre un vieux proverbe très juste « Abondance de biens ne nuit pas  ? » Mais si personne n’ose aujourd’hui soutenir cette proposition dangereuse, beaucoup s’efforcent de créer artificiellement la rareté des produits en supprimant là concurrence extérieure au moyen des droits de douane. Nous n’avons pas à nous occuper ici de cette question (voir le mot LIBRE-ÉCHANGE) ; il nous suffira de dire, pour nous résumer, que l’abondance est un bien 1° toutes les fois qu’elle résulte d’un progrès dans l’art industriel et, en général, de tout progrès augmentant la puissance productive et abaissant le coût de production ; 2° quand elle vient de causes météorologiques, comme cela a lieu pour les produits agricoles. L’abondance n’est-elle, dans ces cas, pas une preuve, en effet, qu’un plus grand nombre d’hommes peut satisfaire un plus grand nombre de besoins, et cela au prix d’un travail moindre et d’une façon permanente  ? Par exception, l’abondance due à un excès de production causé par de mauvaises prévisions, apporte un trouble sur le marché général, parce que la baisse de valeur qui s’ensuit n’est que la conséquence d’un travail détruit.

La disette a pour effet, il est vrai, de stimuler la production et surtout de développer l’esprit d’invention dans l’art industriel relatif au produit dont l’offre est très restreinte. Contrairement à ce qui se passe en temps d’abondance, la population diminue, les consommations improductives, le gaspillage deviennent plus rares. La nécessité est une rude école pour former l’esprit d’épargne et développer l’énergie. Toutefois les sociétés assez avancées en civilisation économique peuvent seules profiter de ces enseignements. Les disettes et les famines qui désolent périodiquement l’Inde et la Chine ne réveillent guère les habitants de ces pays de leur torpeur et de leur ignorance. Il n’est pas non plus très juste de dire que l’on doive absolument au blocus continental, par exemple, la fabrication du sucre de betterave. La découverte a été faite un peu plus tôt qu’elle ne l’eût été en temps normal, mais elle n’eût point échappé, sous l’influence de la concurrence, à la sagacité des inventeurs. Sous prétexte que, dans les villes assiégées, on tire parti de tout, il n’est nullement utile que les sociétés se placent artificiellement dans cette situation afin de perfectionner l’art industriel. Certes, les obstacles exercent et développent, dans une certaine mesure, l’activité de l’homme, néanmoins il en est assez de naturels, sans que l’on en crée d’artificiels. Que penser d’une personne qui se couperait la main droite pour vaincre la difficulté d’écrire avec la gauche  ?

3. Historique.

L’on a remarqué, en tout temps, que la production agricole subissait, suivant la clémence ou l’inclémence des saisons, des variations importantes. Ces variations ont surtout été observées dans les pays où elles se présentaient sous forme périodique comme en Égypte. Le rêve du pharaon expliqué par Joseph, les idées de prévoyance du fils de Jacob, en sont la preuve Le pharaon put