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les États modernes, réduits, en général, à leur domaine public, c’est-à-dire aux biens qu’ils possèdent pour le service commun des citoyens (V. DOMAINE). Les créations ou augmentations de taxes sont une dure nécessité. Il faut cependant s’y soumettre quand le déficit prend le caractère de la permanence et que les économies réalisables ne suffisent pas à le balancer. La sagesse du ministre consiste alors à faire un choix entre les impôts les moins difficiles à percevoir, les moins lourds à supporter et en même temps les moins propres à stériliser ou à inquiéter les capitaux. 23. Budget en excédent. Dégrèvements. Trésor de guerre. Amortissement.

Si la recette prévue est un peu au-dessus de la dépense projetée, le budget se présente dans la situation la plus favorable ; il peut affronter les événements. Sauf le cas d’une guerre ou d’une catastrophe imprévue, il conservera jusqu’au bout son équilibre. Mais si l’excédent des recettes est considérable, alors se présentent pour le ministre de nouveaux embarras. Il se voit assailli de demandes tendant, les unes à des augmentations de dépenses, les autres à des dégrèvements ou diminutions d’impôts. Il pourrait, à la rigueur, donner satisfaction aux premières, si elles ne devaient avoir qu’un caractère accidentel et temporaire. Mais il sait que la plupart des augmentations se reproduisent d’année en année et il doit songer à l’équilibre des budgets futurs. Quant aux demandes de dégrèvements, elles se recommandent des arguments les plus sérieux. L’impôt n’est plus légitime dès qu’il a cessé d’être nécessaire. Si une portion des revenus mis en commun est devenue inutile au service de la communauté, les citoyens doivent en reprendre la libre disposition ; ils l’emploieront toujours d’une manière plus fructueuse que l’État. Il est difficile, sans doute, de résister à de telles raisons. Néanmoins, ici encore, le ministre doit se préoccuper avant tout de l’avenir. La prospérité n’aura qu’un temps ; les vaches maigres succéderont aux vaches grasses et les insuffisances aux excédents. Les impôts supprimés seront difficiles à rétablir dans un moment de malaise général et leur absence causera alors une gêne véritable à l’État. Il convient donc, en principe, de ne consentir aux dégrèvements que lorsque l’excédent des ressources sur les besoins, au lieu d’être un fait accidentel, paraît devoir survivre aux revirements de la fortune. Alors la diminution doit porter de préférence sur les impôts les plus nuisibles au développement de la richesse publique.

Si les impôts ne peuvent être diminués sans imprudence, le ministre peut proposer l’emploi des ressources disponibles. Il peut, par exemple, les affecter en tout ou en partie à la constitution d’un trésor de guerre, c’est-à-dire d’une réserve de capitaux, destinée à pourvoir aux grandes nécessités de l’État, à celles notamment qui résultent d’une entrée en campagne. Presque tous les peuples de l’antiquité possédaient des trésors. Celui de Rome était alimenté par l’aurum vicesimarium, taxe prélevée sur l’affranchissement des esclaves. Les rois de France se constituèrent à plusieurs reprises des réserves métalliques ; HenriIV, en particulier, « ayant résolu de faire un fond de deniers pour s’en servir et ayder aux occasions qui peuvent arriver et, par ce moyen, pourvoir à la seureté, manutention et conservation de son Estat et couronne contre les mauvais etpernicieux desseins deses ennemis », ordonna le 16 juillet 1602 que « tous les deniers revenans bons en son espargne après les despences ordinaires et nécessaires acquittées, seraient par les trésoriers de son dit espargne, chacun en l’année de leur exercice, mis en son château de la Bastille ès coffres que sadite Majesté y avait fait mettre à cet effet ». Et en 1610 le montant des sommes contenues « dans les chambres basses voûtées » de la Bastille s’élevait, d’après le compte de Sully, à 23460000 livres 1. Napoléon puisait pour ses expéditions dans les ressources de son domaine extraordinaire. Frédéric II, en montant sur le trône, trouva une épargne de 8,700.000 thalers qu’il parvint à doubler malgré les nombreuses guerres de son règne, et l’Allemagne moderne n’a pas abandonné cette tradition. Malgré les services qu’elles peuvent rendre aux heures décisives, on admet généralement que ces vastes accumulations de capitaux ont quelque chose de suranné et qu’elles offrent plus d’inconvénients que d’avantages. Le crédit est le véritable trésor de guerre des États modernes ; et il leur suffit d’avoir une réserve de quelques millions pour parer aux cas urgents, à ceux « qui ne peuvent souffrir la longueur des formes de finances » 2, comme disait Richelieu lorsque par son testament il ordonnait de remettre au roi une somme de 1,500,000 livres mise par lui en réserve pour les besoins de l’État. La nécessité d’un crédit intact indique la meilleure destination à donner aux excédents de recettes ils doivent être employés à soulager la dette flottante ou à amortir la i. Sully, Petite bibliothèque économique, Paris, Guillaumin, p. 165 et suiv.

. On sait qu’en France une réserve de cette nature a été constituée au moyen d’économies réalisées sur les fonds secrets du ministère de la guerre.