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économistes ne peuvent, même scientifiquement, tirer ainsi le capital du néant ; quoique, en comparant le capital qui féconde aujourd’hui le travail du monde économique avec le premier bâton qui servit à l’homme primitif, on soit presque tenté de considérer ce morceau de bois mort, ramassé peut-être sans peine, comme le point idéal des mathématiciens.

La loi de l’économie des forces sous l’influence de laquelle nous tendons à produire le plus possible au prix du moindre travail possible, a poussé l’homme, dès les premiers âges, à conserver ses outils si rudimentaires qu’ils fussent, et des provisions autant qu’il le pouvait. Et cette conservation est devenue l’objet de soins de plus en plus assidus, à mesure que ces outils, se perfectionnant, donnaient plus de peine à l’inventeur et au constructeur. Sans les lois restrictives, comme la loi de la population, sans les intempéries et les bêtes féroces, l’homme serait probablement encore dans cet état de nature chanté par les poètes. Lorsque la cueillette des fruits devint insuffisante pour les peuplades dont la population s’accroissait, force leur fut de poursuivre les animaux. Or les instruments du chasseur, l’arc, les flèches, etc., sont des instruments supérieurs aux bâtons employés pour abattre des fruits. Une hache en silex exige un morceau de silex d’une forme spéciale qu’on ne rencontre pas à chaque pas ; le lier ensuite à un manche nécessite un lien qu’on n’invente pas au premier abord, et une adresse qui demande quelque apprentissage ; les flèches et l’arc présentent encore plus de difficultés dans leur construction. Ce sont là les premiers capitaux que les hommes ont créés et conservés par nécessité, sans l’usage desquels ils fussent revenus à leur première condition en subissant un abaissement du chiffre de leur population.

Il faut remarquer que les premiers capitaux ont été des armes et des outils ; l’épargne des provisions de toute sorte n’est venue que plus tard. Ce fait s’explique assez facilement. L’homme primitif n’obéissait surtout – et l’homme moderne n’obéit malheureusement que trop aujourd’hui – aux nécessités du moment. Se défendre d’une bête féroce, assouvir la faim qui revient plusieurs fois par jour, sont des mobiles dont on tient forcément compte. Au contraire, l’homme oublie facilement les privations qui ne sont pas continues, qu’il endure à certaines périodes de l’année. La conservation des aliments et des vêtements présentait aussi, à ces époques reculées, d’assez grandes difficultés.

La nécessité, toujours, a fait triompher l’homme de ces obstacles, mais après combien de siècles de tâtonnements, de misères, d’épreuves terribles ! Néanmoins le capital grandit peu à peu, et plus il grandit, plus son importance s’accroît. Il est indissolublement lié désormais au progrès du travail, il le féconde, le suit dans son évolution. Comme le nombre des hommes et leurs besoins s’étendent, la vie au jour le jour est abandonnée, l’existence devient en quelque sorte compliquée. Il faut pour satisfaire aujourd’hui, demain, dans l’avenir, ces goûts, ces besoins, si multiples et si variés, des approvisionnements de toute nature, un aliment toujours prêt pour permettre au travail d’en produire à chaque instant de nouveaux.

Le capital, étant le résultat d’une accumulation et d’une conservation, est créé par l’épargne. Non pas que l’épargne crée la richesse. L’épargne fait tout simplement un capital avec des richesses, puisqu’elle conserve ces richesses dans un but de consommation reproductive, leur donne une fonction déterminée. Pour qu’il y ait épargne, il faut donc qu’il y ait, avant tout, excédent de richesses eu égard à celui ou à ceux qui épargnent. L’acte qui constitue ensuite l’épargne proprement dite dépend de la volonté de l’homme. Or cet acte est une peine, un travail moral (V. les mots Épargne et Travail) qui exige une lutte pour se défendre des tentations de dépenser sans utilité des richesses. En définitive, le capital est une portion de richesses arrachée par notre énergie morale à la consommation improductive. Aussi voyons nous les civilisés beaucoup plus capables d’épargne que les sauvages, et encore, parmi les civilisés en est-il qui ne cèdent en rien aux sauvages sous le rapport des folles dissipations. Ce n’est pas pour des hommes primitifs que La Fontaine a écrit la fable la Cigale et la Fourmi.

Il est important de ne pas confondre ce que l’on appelle parfois l’épargne dans le coût de production, avec l’épargne dont il s’agit ici. Toutes les fois qu’il y a un perfectionnement apporté dans l’industrie, il s’ensuit un accroissement de puissance productive, une épargne de forces. Des produits sont alors obtenus avec une économie de travail, il y a augmentation de richesses ; il dépend néanmoins de la volonté de l’homme d’employer improductivement ou reproductivement ces richesses. Il semblerait, au premier abord, que le bon marché des produits pousse en général l’homme à l’épargne ; malheureusement il n’en est pas toujours ainsi. C’est le petit nombre qui, dans les années d’abondance, conserve et accumule. En principe