Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 1.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que deux espèces de pain. En 1531 (ordonnance du 28 octobre), les défenses d’acheter ailleurs que dans les marchés sont renouvelées sous des peines sévères ; les considérants de l’édit valent la peine d’être cités :

« Comme nous avons esté avertis et informés que plusieurs personnages, par avarice et rapacité, non ayans Dieu, charité, ni le salut de leurs âmes devant leurs yeux, ont acheté grande quantité de tous bleds, les uns devant la cueillette et estant encore en verdure sur les champs ; et les autres du populaire hors du marché et en leurs maisons pour mettre en grenier pour iceux vendre à leur plaisir et volonté, lorsqu’ils verront le peuple estre en nécessité. À cause de quoy, ainsi que notoirement se peut voir et connoistre, le bled s’est enchéri grandement et le peuple en a grande faute à nostre grand regret et déplaisir, lequel de tout nostre cœur et désir voulons soulager, supporter et faire vivre en paix, et empêcher que par tels moyens iniques et pervers ne soient travaillés et mis en nécessité… »

Ce langage atteste que les marchands de grains étaient aussi mal vus par le souverain que par le peuple. Bientôt on les soumit à des règlements plus sévères encore. Par un édit de 1587, édit inspiré par le chancelier de L’Hospital et renouvelé en 1577, il est expressément défendu aux laboureurs, personnes nobles, officiers du roi, principaux officiers des villes, de faire le commerce des grains. Par le même édit, ceux qui se livraient à ce commerce étaient astreints à se faire enregistrer aux greffes royaux des lieux de leur domicile, sous peine d’amende et de confiscation des grains. Dans le siècle suivant, la règlementation fait de nouveaux progrès. En 1621, le lieutenant civil publie une ordonnance spéciale pour la police des grains à Paris. Il ordonne à toutes personnes qui voudront se livrer à ce commerce de faire enregistrer leurs noms et demeures au greffe du Châtelet ; de déclarer le lieu et la quantité de leurs achats ; de mener leurs grains au marché deux fois par mois au moins. Quant aux marchands forains, ils sont tenus de vendre leurs grains eux-mêmes, ou de se faire remplacer par des gens de leur famille. On leur accordait trois jours pour les vendre. Dans cet intervalle, ils en fixaient le prix et, ce prix une fois fixé, ils ne pouvaient plus l’augmenter. Si les grains n’étaient point vendus le troisième jour, on les mettait au rabais. Défense expresse était faite aux marchands, soit de les remporter, soit de les mettre en dépôt à Paris. Défense était faite en outre à tous marchands d’acheter des grains dans un rayon de dix lieues autour de Paris. D’un autre côté, les boulangers de Paris ne pouvaient aller faire leurs achats qu’à une distance de huit lieues. Il y avait, de la sorte, trois zones d’achats, du moins sur le papier. En dedans du rayon de huit lieues, les laboureurs ou les propriétaires ne pouvant s’aboucher avec les marchands, venaient apporter eux-mêmes leurs blés au marché. Les boulangers achetaient ou étaient censés acheter directement entre huit et dix lieues plus loin, les marchands étaient libres de commencer leurs opérations. Cette réglementation compliquée avait pour objet de mieux assurer l’approvisionnement de la capitale et, comme bien on suppose, elle produisait un résultat tout opposé : Paris était l’endroit de France où les disettes étaient le plus fréquentes. — En 1629, les parlements de Bretagne et de Normandie défendirent de transporter des grains hors de leurs ressorts. Tous les marchands se portèrent dans la Beauce, l’Ile-de-France, le Vexin, le Valois, la Picardie et la Brie, qu’ils épuisèrent par leurs achats. L’approvisionnement de Paris se trouva compromis. Une assemblée générale de police eut lieu. On peut voir dans le Traité de la Police de Delamare le compte rendu de la séance de cette assemblée. Les opinions les plus réglementaires y dominèrent. À la suite de cette séance, une ordonnance fut rendue pour autoriser des commissaires à aller rechercher à Noyon, à Compiègne, à Soissons, les blés appartenant aux marchands de Paris. Il était enjoint à ceux-ci de conduire leurs blés à Paris, dans la quinzaine, sous peine de confiscation. C’est le système des réquisitions dont la Révolution devait faire plus tard un si ample usage. En 1660, 61 et 62, années de disette, les ordonnances relatives au commerce des grains se multiplièrent. Le parlement interdit notamment, sous des peines sévères, les coalitions ou associations pour l’achat et la vente des blés. En 1662, le roi fit acheter pour 2 millions de blés dans les ports de la Baltique. Ces blés furent distribués dans Paris à raison d’un setier pour chaque famille pauvre, à 26 livres le setier, tandis que le prix du commerce était de 50 livres. Des disettes terribles signalèrent la fin de ce siècle et, comme toujours, elles donnèrent occasion de renforcer encore le régime réglementaire. En 1692 et 93, on ordonna aux propriétaires ou fermiers d’ensemencer leurs terres, faute de quoi il était permis à toute personne étrangère de les ensemencer et de jouir de la récolte sans payer aucun fermage. On renouvelait encore l’obligation imposée aux marchands forains de vendre en personne leurs grains, et l’on motivait cette obligation d’une manière assez curieuse et originale :