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Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/125

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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XIII.

font à des besoins tellement nécessaires, que, sans leurs travaux, nulle société ne pourrait subsister. Les fruits de ces travaux ne sont-ils pas réels ? Ils sont tellement réels, qu’on se les procure au prix d’un autre produit qui est matériel, auquel Smith accorde le nom de richesse, et que, par ces échanges répétés, les producteurs de produits immatériels acquièrent des fortunes[1].

Si l’on descend aux choses de pur agrément, on ne peut nier que la représentation d’une bonne comédie ne procure un plaisir aussi réel qu’une livre de bonbons, ou une fusée d’artifice, qui, dans la doctrine de Smith, portent le nom de produits. Je ne trouve pas raisonnable de prétendre que le talent du peintre soit productif, et que celui du musicien ne le soit pas[2].

Smith a combattu les économistes qui n’appelaient du nom de richesse que ce qu’il y avait dans chaque produit de valeur en matière brute ; il a fait faire un grand pas à l’économie politique, en démontrant que la richesse était cette matière, plus la valeur qu’y ajoutait l’industrie ; mais puisqu’il a élevé au rang des richesses une chose abstraite, la valeur, pourquoi la compte-t-il pour rien, bien que réelle et échangeable, quand elle n’est fixée dans aucune matière ? Cela est d’autant plus surprenant, qu’il va jusqu’à considérer le travail, en fesant abstraction de la chose travaillée, qu’il examine les causes qui influent sur sa valeur, et qu’il propose cette valeur comme la mesure la plus sûre et la moins variable de toutes les autres[3].

  1. C’est donc à tort que le comte de Verri prétend que les emplois de prince, de magistrat, de militaire, de prêtre, ne tombent pas immédiatement dans la sphère des objets dont s’occupe l’économie politique. (Meditazioni sulla Economia politica. § 24.)
  2. Germain Garnier a déjà relevé cette erreur dans les notes qu’il a jointes à sa traduction de Smith.
  3. Quelques auteurs, qui n’ont peut-être pas donné une attention suffisante à ces démonstrations, ont persisté à nommer les producteurs des produits immatériels, des travailleurs improductifs. Mais on ne gagne rien à lutter contre la nature des choses. Ceux qui entendent un peu l’économie politique, sont forcés de rendre, malgré eux, hommage aux principes. M. de Sismondi, par exemple, après avoir parlé des dépenses qu’on fait en salaires d’ouvriers improductifs, ajoute : Ce sont des consommations rapides qui suivent immédiatement la production. (Nouveaux principes d’Économie politique, tome II, p. 203.) Ainsi, voilà des ouvriers improductifs qui produisent !