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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

rare qu’il n’était, parce qu’il se trouve moins de denrées à faire circuler ; et c’est ainsi qu’un pays écrasé d’impôts qui surpassent ses moyens de production, se trouve peu à peu privé d’abord de marchandises, ensuite d’argent, c’est-à-dire, de tout, et se dépeuple, comme il est arrivé en Espagne depuis 200 ans ; à moins que des épargnes constantes ne balancent les capitaux qui s’altèrent, et qu’une industrie active ne fournisse plus de produits annuels que les consommations publiques n’en détruisent, comme en Angleterre.

En étudiant avec soin ces principes, on comprendra comment les dépenses annuelles et véritablement gigantesques des gouvernemens modernes, ont obligé les contribuables à un travail plus opiniâtre, puisque, indépendamment des productions que réclament leur entretien, celui de leurs familles, leurs plaisirs, les mœurs du pays, il faut qu’ils produisent encore ce que dévore le fisc, et ce que le fisc fait perdre sans le dévorer, valeur incontestablement énorme chez quelques grandes nations, mais impossible à évaluer.

Cet excès, résultat graduel de systèmes politiques vicieux, a du moins servi à perfectionner l’art de produire, en obligeant les hommes à tirer de plus grands services du concours des agens naturels ; et sous ce rapport, les impôts ont peut-être contribué au développement et au perfectionnement des facultés humaines ; aussi, lorsque les progrès de l’art social auront ramené les contributions publiques au niveau des véritables besoins des sociétés, on éprouvera un très-grand bien-être résultant des progrès qui ont été faits dans l’art de produire. Mais si, par une suite des profusions où nous jettent des machines politiques abusives et compliquées, le système des impôts excessifs prévaut, et surtout s’il se propage, s’étend et se consolide, il est à craindre qu’il ne replonge dans la barbarie les nations dont l’industrie nous étonne le plus ; il est à craindre que ces nations ne deviennent de vastes galères, où l’on verrait peu à peu la classe indigente, c’est-à-dire le plus grand nombre, tourner avec envie ses regards vers la condition du sauvage…du sauvage qui n’est pas bien pourvu à la vérité, ni lui ni sa famille, mais qui du moins n’est pas tenu de subvenir, par des efforts perpétuels, à d’énormes consommations publiques, dont le public ne profite pas, ou qui tournent même à son détriment.