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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

comme l’huile qui se rencontre dans les rouages d’une machine arrêtée, l’or et l’argent ne sont plus productifs dès que l’industrie cesse de les employer. Il en est de même, au reste, de tous les autres outils dont elle se sert.

On voit que ce serait une grande erreur de croire que le capital de la société ne consiste que dans sa monnaie. Un commerçant, un manufacturier, un cultivateur, ne possèdent ordinairement, sous la forme de monnaie, que la plus petite partie de la valeur qui compose leur capital ; et même, plus leur entreprise est active, et plus la portion de leur capital qu’ils ont en numéraire est petite, relativement au reste. Si c’est un commerçant, ses fonds sont en marchandises sur les routes, sur les mers, dans les magasins, répandus partout ; si c’est un fabricant, ils sont principalement sous la forme de matières premières à différens degrés d’avancement, sous la forme d’outils, d’instrumens, de provisions pour ses ouvriers ; si c’est un cultivateur, ils sont sous la forme de granges, de bestiaux, de clôtures. Tous évitent de garder de l’argent au-delà de ce que peuvent en exiger les usages courans.

Ce qui est vrai d’un individu, de deux individus, de trois, de quatre, l’est de la société tout entière. Le capital d’une nation se compose de tous les capitaux des particuliers et de ceux qui appartiennent en commun à toute la nation et à son gouvernement ; et plus la nation est industrieuse et prospère, plus son numéraire est peu de chose, comparé avec la totalité de ses capitaux. Necker évalue à 2 milliards 200 millions la valeur du numéraire circulant en France vers 1784, et cette évaluation paraît exagérée par des raisons qui ne peuvent trouver leur place ici ; mais, qu’on estime la valeur de toutes les constructions, clôtures, bestiaux, usines, machines, bâtimens de mer, marchandises et provisions de toute espèce, appartenant à des français ou à leur gouvernement dans toutes les parties du monde ; qu’on y joigne les meubles et les ornemens, les bijoux, l’argenterie et tous les effets de luxe ou d’agrément qu’ils possédaient à la même époque, et l’on verra que les 2 milliards 200 millions de numéraire ne sont qu’une assez petite portion de toutes ces valeurs[1].

Beeke évaluait, en 1799, la totalité des capitaux de l’Angleterre à 2 milliards

  1. Arthur Young, dans son Voyage en France, malgré l’idée médiocre qu’il donne de l’agriculture française en 1789, évalue la somme des capitaux employés seulement dans l’agriculture de ce pays, à plus de 11 milliards. Il croit qu’en Angleterre elle s’élève proportionnellement au double de cette somme.