Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/158

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Et, pour plus grande sûreté,
De l’eau salée en quantité.
Mon père, qui, dans chaque affaire,
N’agit jamais en téméraire,
Et qui sait cent secrets nouveaux,
Prit un grand sas et des ciseaux,
Puis, tourné vers l’un des deux pôles ;
Et prononçant quelques paroles
Où personne n’entendit rien,
Quoique chacun écoutât bien,
Et qu’il n’entendait pas, peut-être,
Il nous dit qu’il allait connaître
Où nous planterions le piquet :
Mais pourtant de son tourniquet
Fort peu de choses nous apprîmes.
Ensuite de quoi nous nous prîmes
A nous bâtir de bons vaisseaux
Pour nous exposer sur les eaux,
Et chercher quelque nouveau gîte.
La flotte fut faite bien vite,
Au pied d’Ida, près d’Antandros.
Nous fîmes de nos gens un gros,
Au temps que la triste froidure
Quitte la place à la verdure.
Puis, de mon père conviés,
Les dieux ayant été priés,
Nous montâmes sur nos galères,
Non sans jeter larmes amères
De voir Troie, où tout fut si bon,
N’être plus rien que du charbon ;
Cette belle ville de Troie,
Où j’avais vécu dans la joie,
Qui pis est, en sortir vaincu,
Comme on dit, coups de pieds au cul.
Enfin donc hommes, enfants, femmes,
Et tous nos dieux sauvés des flammes,
Nous voilà sur mer, loin du port,
A deux ou trois doigts de la mort :
Car, entre gens flottant sur l’onde,
Et la mer où se perd le monde,