Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/184

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Avait fait bâtir ce tombeau
Dans un bois, auprès d’un ruisseau,
Nommé Simoïs, du nom du fleuve
Qui les murs de Pergame abreuve.
Elle pensa mourir d’effroi,
Quand elle vit mes gens et moi,
Et nos armes à la Troyenne.
Elle cria : "Qu’on me soutienne
Je me sens les jarrets plier."
D’un côté vint un écuyer,
Et de l’autre une damoiselle,
Qui la soutinrent sous l’aisselle,
L’un et l’autre bien étonnés.
Elle, me regardant au nez,
Et reconnaissant mon visage,
Tint ce déplorable langage :
"Est-ce vous, mon cher Aeneas ?
Vous vois-je, ou ne vous vois-je pas ?
Qu’avez-vous fait d’Hector, de Troie ? "
Alors de tristesse et de joie
Ses yeux se mirent à pleurer,
Et sa poitrine à soupirer
Moi qui sais pleurer comme un autre,
D’un : « Serviteur, et moi le vôtre »,
Interrompu de vingt sanglots,
Et lui marmottant plusieurs mots,
Qui n’avaient ni raison ni suite,
Tant mon âme était interdite,
Je tâchais de la consoler,
Et ne faisais que bredouiller ;
Enfin, reprenant mon haleine,
Je lui dis avec grande peine :
"Oui, Madame, vous le voyez,
Maître Aeneas, et l’en croyez.
Mais pour vous, ma très chère dame,
Ayant été d’Hector la femme,
Après avoir eu tel époux,
Dites-moi, qu’est-ce que de vous ?
Pyrrhus, vous ayant emmenée,
Vous a-t-il prise en hyménée ?