Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/295

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Si contre dame Anne fâchés,
En morceaux vous ne la hachez !
O sœur, autrefois si jolie,
Vous avez fait une folie,
Laquelle on ne peut réparer.
Avez-vous dû vous séparer
D’une sœur qui fut si fidèle ?
Il valait mieux s’assurer d’elle,
Puis toutes deux, d’un coup fourré,
Chacune en main glaive acéré,
S’entre-pénétrer la peau tendre,
Ou bien d’un taillant se pourfendre.
Au moins si j’avais assisté
A ce trépas prémédité,
J’aurais eu du gain dans ma perte,
Et j’aurais gobé, bouche ouverte,
L’âme de ma sœur s’envolant,
Si que l’une à l’autre mêlant,
J’en aurais une bonne paire
Et ce serait un bon affaire
De pouvoir en aider à point
Quelque ami qui n’en aurait point :
Çà, de l’eau, vite qu’on m’en puise,
Afin que je la gargarise,
Ou bien plutôt un peu de vin :
Ma sœur aimait ce jus divin.
Mais à propos, de l’émétique,
Car il est, dit-on, mirifique,
Et ressusciterait un mort.
Que ne la saignait-on d’abord ?
La mort est souvent éloignée
Par une première saignée."
Tenant ces funestes propos,
Comme elle avait le corps dispos,
Haute en jambes comme une autruche,
Et grimpait comme une guenuche,
Elle se fit voir d’un plein saut
Au beau milieu de l’échafaud.
Là recommencèrent les plaintes,
Et les souffletades non feintes.