Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/353

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De nos ennemis meurtriers,
Pour devenir des nautonniers,
N’aurons-nous donc jamais la joie
De voir une nouvelle Troie,
Simois, séjour des plongeons,
Et Xanthe fertile en goujons ?
Ah ! brûlons nos nefs comme paille,
Qui ne valent plus rien qui vaille !
J’ai vu, cette nuit, en dormant,
Cassandre une torche allumant,
Et qui me disait qu’en Sicile
Nous devions choisir domicile,
Et que c’était vivre en oisons,
Au lieu d’habiter des maisons,
D’être toujours en des nacelles,
Nageant toujours comme sarcelles,
Et cent autres oiseaux de mer,
Qu’il n’est pas besoin de nommer.
Brûlons donc nos vaisseaux, vous dis-je ;
Après prodige sur prodige,
Faisons de nos nefs du charbon,
Ou n’attendons plus rien de bon
Du ciel, mais querelle et rancune.
Voilà quatre autels de Neptune,
Couverts de feu suffisamment
Pour faire un bel embrasement :
Allons donc, ma chère brigade,
Allons travailler en grillade,
Et pour prendre congé des eaux,
Mettons le feu dans nos vaisseaux."
Cela dit, la brûlante dame
Prit un gros tison plein de flamme,
Pour commencer l’acte inhumain ;
Ce tison, partant de sa main,
Prit le chemin des nefs de Troie,
Pour faire un feu, non pas de joie :
Les dames de ce coup hardi
Eurent l’esprit bien étourdi,
Et leurs yeux quasi s’en fendirent,
Tant alors elles les ouvrirent