Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/358

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De voir ce démon intestin
Qui de ses vaisseaux fait festin,
Et qui si bien brûle et fricasse
Que maint corps de nef est carcasse,
Et maint vaisseau bien attelé
N’est plus qu’un peu de bois brûlé.
Voyant que la puissance humaine
Y perd autant d’eau que de peine,
Il déchira, fou qu’il était,
Tout le vêtement qu’il portait,
Et lors tout le monde eut la vue
De sa chair de longs poils pourvue.
Il fit, d’une mourante voix,
Deux grands hélas ! les bras en croix,
Regardant la voûte céleste,
Puis il prononça ce qui reste :
"Jupiter, que j’aime beaucoup,
Voici bien du feu pour un coup ;
Et si ce n’est pas feu de joie ;
Celui qui brûla notre Troie,
A comparer à celui-ci,
N’était qu’un feu couci-couci.
S’il arrive qu’il vous souvienne,
Tant soit peu de la gent troyenne,
Si, parmi ce peuple abîmé,
Quelqu’un de vous est estimé,
Plaise à votre Jupiterie
Que ce soit moi, je vous en prie,
Et vous serez rémunéré
De m’avoir ainsi préféré.
En signe de la préférence,
Qu’il plaise à Votre Révérence
Sur nos pauvres nefs de pleuvoir,
Comme il en a bien le pouvoir :
A nos affaires décousues
La libéralité des nues
Viendra, ma foi, bien à propos.
De l’eau donc, de grâce, à pleins pots,
Car vous en avez à revendre,
Et vous savez bien où la prendre.