Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/531

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Après cette cérémonie,
Avec une grâce infinie,
Et d’un ton de voix argenté
Qui pourtant n’était frelaté,
Il dit : "O mères et grand-mères
De ces fleuves, de ces rivières,
Nymphes, humides Déités
Qui dans l’eau sous terre habitez,
Foi de cavalier, je vous donne
En ma très illustre personne,
Sans regret, et de tout mon cœur,
Un très fidèle serviteur.
Et vous, Tibre, que je révère
Autant que je faisais mon père,
Vous êtes fleuve qui valez
La mer et tous les flots salés.
Je vous garde un présent honnête,
Car je confesse qu’à ma tête,
Quand ma raison périclitait,
Comme une folle qu’elle était,
Lorsqu’elle était hors de cadence,
Par votre aquatique éloquence
Vous rendez la tranquillité.
Je veux boire à votre santé,
Quand mes affaires seront nettes,
Et vous veux dire des sornettes,
Si vous vous plaisez d’en ouïr :
J’ai bien de quoi vous réjouir,
Et prétends vous faire tant rire
Que vous serez contraint de dire
Que je sais bien dire le mot.
Feu Priam, qui n’était pas sot,
Outre mille bonnes parties,
Se plaisait fort en facéties :
Quand j’en faisais, ce pauvre roi
(Il m’est avis que je le vois)
Riait si fort que, quand j’y pense,
J’en ris encor de souvenance."
Aeneas, ainsi se vantant,
Eut le nez de rouge éclatant,