Page:Schiff - Marie de Gournay.djvu/142

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sincères de Montaigne. M. Courbet, dans ses Recherches sur Mlle de Gournay (Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, 1898, p. 227-232), a fait à ce sujet de curieuses remarques. Il possède un exemplaire des Essais de 1595 qui a appartenu à Antoine de Laval, capitaine du château de Moulins et géographe du Roi. Ce gentilhomme, qui n’était pas le premier venu, a mis sur le titre du volume de Montaigne une note significative : « J’ay cogneu et fréquenté fort familierement l’auteur. » Cette phrase donne à ses observations une valeur particulière. Laval, ami et admirateur de l’auteur des Essais, critique vertement la préface de Marie de Gournay. Il montre bien que les lecteurs qui blâmaient le zèle de la fille d’alliance n’enveloppaient pas le père et la fille dans une même réprobation.

À propos de l’amour. Mademoiselle de Gournay dit : « Nous accordons qu’il soit meschant exécrable et damnable d’oser prester la langue ou l’oreille à l’expression de ce sujet, mais qu’il soit impudique, on le nie ». Laval réplique ainsi : « Tellement que cette demoiselle ne fait point conscience de lire dans ce livre l’épigramme de Martial Quod f… Glaphyram Antonius, etc., contre le précepte de l’Apostre : nec ulla nominetur spurcitia inter vos, etc., et encores ce qu’il allègue du poète grec : Corrumpunt bonos mores colloquia prava. »

À propos de religion, Marie parlant de Montaigne dit que son « âme n’a eu semblable depuis quatorze ou quinze cents ans, produite par Dieu et vérifiée de son approbation ».

« C’est une hyperbole de femme passionnée et aveugle », remarque en marge le censeur.

Toujours en matière religieuse, Marie de Gournay déclare que « personne n’eust pensé qu’il y eust eu faute aux nouvelles religions, si le Grand Montaigne les eust admises, ou nul de ceux mesmes à qui la faute eust été cognüe, n’eust eu honte de la commettre après luy ».

Et le critique s’écrie : « Que se peut-il dire de plus impie et impertinent ? »

Ces notes prouvent que les mécontents contemporains attaquaient l’éditeur bien plus que l’auteur. Leur pudeur s’alarme des admirations de la demoiselle bien plus que des hardiesses du grand homme.

Pour ce qui est du succès immédiat des Essais, Montaigne en avait été étonné et satisfait. Sa fille d’alliance, plus exigeante que