Page:Schiller - Théâtre, trad. Marmier, deuxième série, 1903.djvu/15

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LE MARQUIS. Oh! plus chère que le monde entier !

CARLOS. Je suis tombé si bas, je suis devenu si misérable, qu'il faut que je te rappelle aux premières années de notro enfance, que je réclame la dette longtemps oubliée que tu contractas sous l'habit de matelot. Lorsque nous grandissions fraternellement avec notre nature impétueuse, je n'éprouvais point d'autre chagrin que de voir mon esprit éclipsé par le tien. Enfin, je résolus fermement de l'aimer sans mesure, puisque Je ne me sentais plus la force de l'égaler. D'abord, je commençai à t'importuncr par mon affection de frère et par mille tendresses. Toi,cœur allier, tu lesreccvais froidement. Souvent j'étais là, — mais cela tu no le vis jamais, — cl des larmes lourdes, brûlantes, roulaient dans mes yeux lorsque, me négligeant, tu serrais dans les bras des enfants d'une condition inférieure. Pourquoi ceux-là seulement? m'écriais-je avec tristesse. Yai-je pas pour toi la mfono affection?... Mais toi, tu le mettais à genoux avec froideur ot gravité devant moi, et tu disais : Voilà ce qui est dû au fils d'un roi.

LE MARQUIS. Oh ! trêve, prince, à ces histoires d'enfant qui me font encore rougir.

CARLOS. Je n'avais pas mérité cela de toi. Tu pouvais mépriser, déchirer mon cœur, mais jamais l'éloigner de toi. Trois fois tu repoussas le prince, trois fois il revint implorer ton affection et le forcer a accepter la sienne, l'n accident fit ce que Carlos n'avait pu faire. In jour, il arriva dans nos jeux que ton volant alla frapper I "«vil de la reine de BoMme, ma tante. Elle crut que c'était prémédité, et se plaignit au roi, le visage en larmes. Toute la jeunesse du palais dut comparaltro pour nommer le coupable. Le roi jura de punir d'une manière terrible cette insolente action, fût-ce sur son propre fils. Je te voyais trembler à l'écart. Alors je m'avançai, je me jetai aux pieds du roi : C'est moi! c'est moi ! m'écriai-je ; c'est moi qui suis coupable ! venge-toi sur ton fils!