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Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/68

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quence de quoi le cours entier de la vie, c’est-à-dire l’histoire extérieure et intérieure de l’un, est si différente de celle de l’autre. De même qu’un botaniste reconnaît la plante entière à une seule feuille ; que Cuvier reconstituait l’animal entier à l’aide d’un seul os, — ainsi l’on peut obtenir, par une seule action caractéristique d’un homme, une connaissance exacte de son caractère, c’est-à-dire le construire, jusqu’à un certain point, à l’aide de celui-ci. Même si cette action a peu d’importance, c’est souvent alors pour le mieux. Quand en effet il s’agit de choses un peu sérieuses, les gens se tiennent sur leurs gardes ; s’il ne s’agit que de petites choses, ils suivent leur nature sans beaucoup de réflexion. Voilà pourquoi ce mot de Sénèque est si juste : Argumenta morum ex minimis quoque licet capere[1] (Lettre LII). Si, dans ces petites choses, un homme montre par sa conduite absolument dépourvue d’égards et égoïste que la rectitude du sens moral est étrangère à son cœur, il ne faut pas lui confier inconsidérément deux sous. Comment croire, en effet, que celui qui, dans toutes les questions autres que celles de propriété, se montre journellement injuste, et dont l’égoïsme sans bornes perce partout à travers les petites actions de la vie ordinaire affranchies de responsabilité, comme une chemise sale à travers les trous d’un habit en haillons, — comment croire qu’un tel homme sera honorable en matière de mien et de tien, sans obéir à d’autre impulsion que celle de la justice ? Celui qui est sans scrupules dans les petites choses, sera criminel dans les grandes. Celui qui ne

  1. « Il est permis d’emprunter aux petites choses aussi des arguments pour les mœurs ».