Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/74

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a woman who gets the command of money for the first time upon her marriage, has such a gust in spending it, that she throws it away with great profusion » (voir Boswell, Life of Johnson, vol. III, p. 199, édit. 1821) (Une femme riche, étant habituée à manier de l’argent, le dépense judicieusement ; mais celle qui par son mariage se trouve placée pour la première fois à la tête d’une fortune, trouve tant de goût à dépenser qu’elle jette l’argent avec une grande profusion). Je conseillerais, en tout cas, à qui épouse une fille pauvre, de lui léguer non pas un capital, mais une simple rente, et surtout de veiller à ce que la fortune des enfants ne tombe pas entre ses mains.

Je ne crois nullement faire quelque chose qui soit indigne de ma plume en recommandant ici le soin de conserver sa fortune, gagnée ou héritée ; car c’est un avantage inappréciable de posséder tout acquise une fortune, quand elle ne suffirait même qu’à permettre de vivre aisément, seul et sans famille, dans une véritable indépendance, c’est-à-dire sans avoir besoin de travailler ; c’est là ce qui constitue l’immunité qui exempte des misères et des tourments attachés à la vie humaine ; c’est l’émancipation de la corvée générale qui est le destin propre des enfants de la terre. Ce n’est que par cette faveur du sort que nous sommes vraiment homme né libre ; à cette seule condition, on est réellement sui juris, maître de son temps et de ses forces, et l’on dira chaque matin : « La journée m’appartient. » Aussi, entre celui qui a mille écus de rente et celui qui en a cent mille, la différence est-elle infiniment moindre qu’entre le premier et celui qui n’a rien.