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comment la chose en soi est connaissable.

les phénomènes de ce monde ne sont que l’objectivation à des degrés divers de ce qui dans la connaissance la plus immédiate se manifeste à nous comme volonté, je vais commencer par produire une série de faits psychologiques d’où il résulte que dans notre propre conscience la volonté se présente toujours comme l’élément primaire et fondamental, que sa prédominance sur l’intellect est incontestable, que celui-ci est absolument secondaire, subordonné, conditionné. Cette démonstration est d’autant plus nécessaire, que tous les philosophes antérieurs à moi, du premier jusqu’au dernier, placent l’être véritable de l’homme dans la connaissance consciente ; le moi, ou chez quelques-uns l’hypostase transcendante de ce moi appelée âme, est représenté avant tout et essentiellement comme connaissant, ou même comme pensant ; ce n’est que d’une manière secondaire et dérivée qu’il est conçu et représenté comme un être voulant. Cette vieille erreur fondamentale que tous ont partagée, cet énorme πρῶτον ψεῦδος, ce fondamental ὕστερον πρότερον doit être banni avant tout du domaine philosophique, et c’est pourquoi je m’efforce d’établir nettement la nature véritable de la chose. Comme cette entreprise se produit ici pour la première fois, après des milliers d’années de pensée philosophique, il ne sera pas inutile d’entrer dans le détail. Le phénomène surprenant de cette erreur professée sur un point fondamental par tous les philosophes, de cette inversion absolue des termes, peut s’expliquer en partie, surtout pour les philosophes de l’ère chrétienne, par ce fait que tous avaient l’intention de représenter l’homme comme profondément distinct de l’animal, et qu’ils sentaient vaguement que cette distinction gît dans l’intellect et non dans la volonté ; de là une tendance inconsciente à faire de l’intellect la chose essentielle, bien plus, à représenter la volonté comme une simple fonction de l’intellect. — Aussi le concept de l’âme n’est-il pas seulement inadmissible, ainsi que le fait voir la Critique de la Raison pure, en tant qu’hypostase transcendante ; mais il devient la source d’erreurs irrémédiables, parce que cette notion d’une « substance simple » établit a priori une unité indivisible de la connaissance et de la volonté, dont la séparation est précisément le premier pas vers la vérité. Ce concept ne devra donc plus figurer dans la philosophie, il faut l’abandonner aux médecins et aux physiologistes allemands qui, après avoir déposé le scalpel et la spatule, entreprennent de philosopher sur les concepts qu’on leur a inculqués lors de leur première communion. Qu’ils essaient de faire fortune avec ce bagage en Angleterre. Les physiologistes et anatomistes français ont échappé, jusqu’à ces derniers temps, à ce reproche.

La conséquence la plus proche et la plus incommode pour tous