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du primat de la volonté dans notre conscience

dents, la dotent aussi d’un cerveau plus ou moins développé, dont la fonction est l’intelligence nécessaire à la conservation de l’espèce. En effet, dans l’échelle ascendante des animaux, plus l’organisation devient complexe, plus multiples aussi deviennent les besoins, plus variés et plus spécialement déterminés les objets nécessaires à leur satisfaction ; les voies qui mènent à ces objets et qui doivent toutes être cherchées et connues deviennent de plus en plus enchevêtrées, éloignées ; par conséquent les représentations de l’animal doivent gagner dans la même mesure en complexité, en précision et en cohésion ; son attention s’éveillera plus facilement, sera plus tendue et plus durable, en un mot son intellect sera plus développé et plus parfait. Nous voyons donc que l’instrument de l’intelligence, c’est-à-dire le système cérébral et les organes des sens, suit pas à pas dans son développement l’extension des besoins et la complication de l’organisme ; l’augmentation de la partie représentative (en opposition à la partie voulante) de la conscience reçoit son expression physique dans la prédominance du cerveau sur le reste du système nerveux d’abord, et ensuite dans la prédominance du cerveau proprement dit sur le cervelet, le premier étant d’après Flourens l’atelier des représentations, l’autre le directeur et l’ordonnateur des mouvements. Le dernier pas fait en ce sens par la nature est véritablement énorme. Car dans l’homme non seulement la faculté de représentation intuitive, à laquelle seule participent les autres espèces animales, atteint son plus haut degré de perfection, mais il vient s’y ajouter la représentation abstraite, la pensée, c’est-à-dire la raison, et avec elle la réflexion. Cet accroissement considérable de l’intellect, c’est-à-dire de la partie secondaire de la conscience, lui confère dès lors une certaine prédominance sur la partie primaire, en ce sens que son activité sera dorénavant prépondérante. Chez l’animal, en effet, c’est le sentiment immédiat de ses appétitions satisfaites ou contrariées qui constitue le fonds essentiel de la conscience, et cela est surtout vrai, à mesure qu’on descend dans la hiérarchie animale, si bien que les derniers ne se distinguent guère de la plante que par la possession supplémentaire de sourdes représentations ; chez l’homme c’est le contraire qui se produit. Ses appétitions ont beau dépasser en violence celles de tout autre animal et dégénérer en passion, sa conscience sera constamment occupée de représentations et de pensées qui la remplissent et la dominent. C’est à ce fait sans doute qu’il faut attribuer principalement cette erreur fondamentale des philosophes, qui leur fait considérer la pensée comme l’élément primaire et essentiel de ce qu’ils appellent âme, c’est-à-dire de la vie intérieure ou spirituelle de l’homme, et qui ne leur fait voir dans la volonté qu’un résultat de l’intellect, produit après coup. Mais, s’il était vrai